ICAN : « LA FRANCE SEMBLE DÉCIDÉE À NE PAS RESPECTER SES OBLIGATIONS DU TRAITÉ DE NON-PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE (TNP)»

Dans une tribune au « Monde », Beatrice Fihn, directrice exécutive de International Campaign to Abolish Nuclear Weapons [Campagne Internationale pour abolir les armes nucléaires] (ICAN) prix Nobel de la paix 2017 et Jean-Marie Collin, son porte-parole en France, soulignent les risques de la « stratégie de défense et dissuasion » du chef de l’État qui notamment innove en proposant « la bombe » aux Européens.

Tribune Le discours, vendredi 7 février, à l’École de guerre, à Paris « stratégie de défense et dissuasion » du président Macron confirme la mise à l’écart du droit international et innove en proposant « la bombe » aux européens. L’avenir ainsi présenté est de conserver le risque possible d’un anéantissement nucléaire…

Promouvoir une politique de dissuasion, tel que l’a réalisé le président, consiste à se donner les moyens d’utiliser, si besoin, une arme nucléaire sur des centres de pouvoir névralgiques, politiques, économiques et militaires. Il va de soi que cela signifie être prêt à réaliser des attaques indiscriminées et disproportionnées contre les populations civiles. Le droit international humanitaire (DIH) est ainsi pleinement écarté.

Cette fuite en avant sur la dissuasion nucléaire, est aussi une remise en cause directe des pas actés en 2010 à la conférence d’examen du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). La France reconnaissait alors « les conséquences catastrophiques sur le plan humanitaire qu’aurait l’emploi d’armes nucléaires et (…) la nécessité pour tous les États de respecter en tout temps le droit international applicable, y compris le droit international humanitaire ».

Proposition contraire au Traité de non-prolifération nucléaire (TNP)

La France semble ainsi décidée à ne pas respecter ses obligations du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP) ; traité qui célèbre cette année son cinquantième anniversaire. Comme dernier des États dotés à l’avoir ratifié (en 1992), elle dispose du même bilan en matière de désarmement depuis plus de 20 ans. Il n’y a donc pas là de quoi se satisfaire et ce, d’autant plus quand est confirmé un « effort budgétaire inédit » dans le but de moderniser et de renouveler l’ensemble des systèmes d’armes nucléaires.

Il faut croire que là aussi, les mesures dictées en 2010, comme « exécuter l’engagement que [les Etats dotés] ont pris sans équivoque de procéder à l’élimination totale de leurs arsenaux nucléaires » ou « réduire encore le rôle et l’importance des armes nucléaires dans tous les concepts, doctrines et politiques militaires » ont été oubliées. Construire une confiance internationale avec ce type d‘attitude apparaît impossible.

Le non-respect de ces mesures interroge d’autant plus, avec l’annonce de la création d’une culture (diplomatique et militaire) européenne de l’arme nucléaire. C’est la première fois, depuis l’entrée en vigueur du TNP en 1970, qu’une puissance nucléaire fait une telle proposition à des États qui ont accepté de ne pas se doter de l’arme nucléaire (article 2 du TNP). Cette invitation est doublée d’une proposition à participer à des exercices de simulation de frappe nucléaire avec les Forces aériennes stratégiques. Tout ceci vient remettre en cause l’esprit de ce traité. Les membres sont en effet engagés « à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires » (article 6). Une fois encore la contradiction est au cœur du discours présidentiel.

La France joue donc un jeu dangereux

Le droit international impose des règles dans le seul objectif de renforcer la sécurité des populations. Notre Campagne ICAN, prix Nobel de la paix 2017, à conscience de la difficulté à mettre en œuvre le désarmement nucléaire ; mais tout montre que la France s’en éloigne par ces agissements.

Œuvrer de façon commune pour la sécurité internationale fut justement la volonté des 122 États qui ont adopté le Traité d’interdiction sur les armes nucléaires (TIAN) le 7 juillet 2017. Ils ont montré les pas concrets qu’il faut faire pour avancer dans le désarmement et renforcer les obligations liées à l’article 6 du TNP. Le TIAN devrait entrer en vigueur en 2020, puisque au moins 50 États l’auront ratifié. Les critiques de la France sur ce traité montrent que celui-ci exerce bien une pression diplomatique, juridique, financière, et éthique sur tous les États.

Le TIAN est un symptôme de la division existante au sein du concert des nations, mais non sa cause. Un symptôme né de l’accumulation d’absence de résultats concrets dans le désarmement nucléaire, d’absence « de bonne foi » au vu des différentes politiques de renouvellement des arsenaux nucléaires engagés, d’absence de prise en compte de l’insécurité nucléaire vécue par l’écrasante majorité du monde.

La France joue donc un jeu dangereux, en poursuivant une ligne diplomatique dont la finalité est la mise en danger des français et plus généralement des européens. Il est temps que les responsables politiques se mettent à avancer dans le bon sens de l’histoire.

Beatrice Fihn(directrice Exécutive de International Campaign to Abolish Nuclear Weapons (ICAN ) [Campagne Internationale pour abolir les armes nucléaires], prix Nobel de la paix 2017)et Jean-Marie Collin(porte-parole de ICAN France)

Par Beatrice Fihn et Jean-Marie Collin, publié le 14 février à 08h20

Photo en titre : « Promouvoir une politique de dissuasion, tel que l’a réalisé le président, consiste à se donner les moyens d’utiliser, si besoin, une arme nucléaire sur des centres de pouvoir névralgiques, politiques, économiques et militaires. » DPA / Photononstop

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