L’ALERTE DE LA COUR DES COMPTES SUR LES COÛTS DU DÉMANTÈLEMENT DES CENTRALES NUCLÉAIRES

Un long processus d’arrêt des réacteurs construits dans les années 1980 et 1990 s’étalera sur plus d’un siècle.

Avec l’arrêt du premier réacteur de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin), samedi 22 février, la France est entrée dans une nouvelle phase de son histoire avec l’atome civil : le début d’un long processus d’arrêt des réacteurs construits dans les années 1980 et 1990, qui conduira au démantèlement de ces installations.

Dans un rapport rédigé à la demande de la commission des finances du Sénat et publié mercredi 4 mars, la Cour des comptes juge sévèrement le calendrier et les coûts envisagés par EDF, Orano (ex-Areva) et le CEA pour assurer la fin de ses centrales. Elle appelle également l’État à anticiper sérieusement les fermetures de réacteurs à venir et à mieux planifier sa politique énergétique en la matière.

Démantèlement : des coûts mal évalués. Les magistrats rappellent que la France a fait le choix du principe d’un démantèlement « immédiat », qui est inscrit dans la loi depuis 2015 et prévoit que les opérations doivent débuter « dans un délai aussi court que possible – dans des conditions économiquement acceptables ». Mais la Cour remarque que l’État n’est pas suffisamment bien organisé pour évaluer les arbitrages proposés par les exploitants.

Surtout, les magistrats appellent, dans leur rapport, à une plus grande prudence dans l’évaluation des coûts. La projection actuelle des charges de démantèlement s’élève à 46,4 milliards d’euros, avec un calendrier qui s’étale sur plus d’un siècle. « La prudence des évaluations actuelles mériterait d’être encore renforcée », euphémise la Cour des comptes. Elle note que « EDF et Orano excluent aujourd’hui de leur évaluation certaines dépenses », notamment certaines charges liées à la fin de l’exploitation des réacteurs et une part de la fiscalité.

Le rapport évoque une insuffisance dans la mobilisation des pouvoirs publics sur le sujet

L’énergéticien explique de longue date que les coûts de démantèlement du parc devraient être limités grâce à sa standardisation (les réacteurs actuels sont tous construits sur un même modèle). Mais la Cour demande à l’électricien de « davantage justifier » les « gains escomptés » à ce sujet. Au niveau global, l’étude estime que les provisions pour le démantèlement devraient croître de 7 milliards d’euros pour EDF, et de 1 milliard pour Orano.

Autre motif d’inquiétude : l’échéancier des opérations. « Le provisionnement des charges futures ne repose pas toujours sur les calendriers les plus réalistes », soulignent les magistrats. Le rapport évoque une insuffisance dans la mobilisation des pouvoirs publics sur le sujet. Un exemple parmi d’autres : la commission chargée d’évaluer le coût du démantèlement a remis un rapport en 2012… et ne s’est plus jamais réunie depuis, estimant qu’elle ne pouvait remplir correctement ses missions.

Fessenheim : une indemnisation trop coûteuse.

Dans son rapport, la Cour revient longuement sur les conditions d’indemnisation d’EDF pour la fermeture de la centrale de Fessenheim. Elle dénonce notamment un « processus de décision chaotique » de l’annonce de cette fermeture par le président François Hollande, en 2012, à l’arrêt du premier réacteur, le 22 février 2020. Pendant toutes ces années, « les annonces de l’État et la communication de l’entreprise ont entretenu une confusion importante sur leurs responsabilités respectives », assurent les magistrats.

Le protocole, qui prévoit deux postes d’indemnisation – une indemnité pour le surcoût lié aux dépenses occasionnées par le démantèlement de la centrale et une indemnité pour « bénéfice manqué » – est jugé par la Cour des comptes « favorable à l’entreprise » et faisant « peser un risque financier » pour l’État, qui n’a pas su faire valoir ses intérêts.

Parmi les clauses favorables au groupe public, le rapport s’interroge notamment sur la durée d’indemnisation retenue, qui s’étend jusqu’en 2041, soit jusqu’à la sixième visite décennale de la centrale, alors qu’EDF prévoit dès aujourd’hui de fermer des centrales âgées de 50 ans et que la loi prévoit une baisse de la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici à 2035. « La part de l’indemnisation reposant sur l’hypothèse que la centrale aurait été maintenue en fonctionnement au-delà de sa cinquième visite décennale en 2031 apparaît ainsi difficilement justifiable », selon la Cour des comptes. Des dispositions du protocole sont « imprécises ou manquantes, ce qui engendre un risque substantiel d’interprétations divergentes entre l’État et l’entreprise », écrivent-ils aussi.

Concernant le montant de l’indemnité pour les dépenses liées à la fermeture, la Cour des comptes évalue aujourd’hui son montant à 370 millions d’euros, mais alerte sur le fait qu’un paiement effectué en 2024, plutôt que dès cette année, engendrerait mécaniquement un surcoût de 73 millions. Elle recommande donc à l’État un versement « le plus rapide possible ».

À propos du montant de l’indemnisation pour les « bénéfices manqués », une « incertitude importante » demeure en raison de la difficulté à anticiper les futurs prix de l’électricité et le mode de régulation du nucléaire.

Interrogations sur les démantèlements en cours.

Outre le parc nucléaire en activité, la France compte de nombreuses autres installations nucléaires – réacteurs à l’arrêt, technologies abandonnées ou usines en fin de vie. Trente-six d’entre elles sont en cours de démantèlement et trente-trois l’ont déjà été complètement. Mais ces installations sont très différentes du parc actuel et le retour d’expérience possible est très limité, note la Cour des comptes. Les magistrats observent que ces démantèlements « connaissent d’importantes dérives de coûts prévisionnels ». « Entre 2013 et 2018, les devis correspondants ont été quasiment doublés pour EDF (+ 4,5 milliards d’euros), et ont augmenté de plus de 25 % pour le CEA (+3,2 milliards) comme pour Orano (+ 1 milliard) », s’inquiète la Cour. Elle souligne enfin que les délais s’allongent de manière significative. C’est notamment le cas des six réacteurs graphite gaz : la fin du démantèlement est reportée au début du XXIIsiècle.

Par Nabil Wakim et Perrine Mouterde, publié le 5 mars 2020 à 18h01, mis à jour à 18h34

Photo en titre : Vue aérienne de la centrale nucléaire de Fessenheim (Haut-Rhin), le 21 février. SEBASTIEN BOZON / AFP

À retrouver sur le site: https://www.lemonde.fr/economie/article/2020/03/04/nucleaire-l-alerte-de-la-cour-des-comptes-sur-les-couts-du-demantelement_6031839_3234.html  du journal le Monde que nous vous invitons à consulter régulièrement.