Chronique en forme de revue de presse des tentatives d’exportation de réacteurs nucléaires par la France.
Cet article présente la chronique des illusions perdues en suivant année après année le déroulement de cette stratégie, sous la forme d’une revue de presse des annonces, des promesses, voire des certitudes rapportées par les média, qu’elles proviennent des entreprises elles-mêmes ou du sommet de l’État.
Cette chronique n’est pas une « sélection » d’échecs choisis par l’auteur mais le récit complet de l’application d’une stratégie : il n’y a eu aucune exportation de réacteur de construction française sur cette période.
Introduction
La politique française de développement de la production d’électricité d’origine nucléaire a toujours mis en avant l’intérêt de l’exportation de réacteurs nucléaires pour les entreprises françaises. On se souvient que le « Programme Messmer » de 1974 décidait la construction de six réacteurs par an sur la base des prévisions d’alors sur la croissance de la consommation nationale d’électricité. À ceux qui s’inquiétaient d’un tel rythme de construction, la réponse était prometteuse : six pendant deux ou trois ans, puis quatre pour la France et deux pour l’export puis deux pour la France et quatre pour l’export… La France en exportera 9[1] en trente ans (1974 – 2004).
L’argument reste en vigueur dans les années 2000 dans une ambiance de « renaissance du nucléaire » grâce à une nouvelle aventure : celle de l’EPR et, à un moindre degré, ATMEA.
Le projet de réacteur EPR, initialement porté par le couple Areva-Siemens, puis par Areva seul et enfin par EDF, a connu un certain succès au début des années 2000. Alléchés par l’annonce de performances remarquables et surtout par un prix étonnamment bas pour des achats « clefs en main », la Finlande achète un exemplaire en 2004, suivie par la France (EDF) en 2006 et la Chine en 2007 pour deux exemplaires.
Cette réussite du « marketing » d’Areva soutenu par une action diplomatique permanente des pouvoirs publics allait se confronter à une réalité cruelle : prévus respectivement pour 2009 en Finlande et 2012 en France, les démarrages sont retardés d’année en année et aujourd’hui « prévus » à un horizon 2023 en France et non précisé en Finlande. Quant au coût, de 3 milliards d’Euros à la vente, ils s’élèvent à 11 milliards pour la Finlande et 12,5 pour la France, les pertes, dans tous les cas, revenant évidemment aux Français… Les choses se sont mieux passées en Chine : les réacteurs ont démarré en 2018 et 2019, donc avec un retard moindre et le coût, semble-t-il, n’a fait que doubler. La construction d’un EPR au Royaume-Uni, commencée en 2019, par EDF et pour EDF, souffre déjà d’un coût annoncé considérable.
Une telle débâcle, d’une ampleur inattendue, ne fait toutefois que confirmer ce que déclarait André-Claude Lacoste, alors président de l’Autorité de sûreté nucléaire ASN, le 6 juin 2012, lors d’une conférence organisée par l’Usine Nouvelle : « Les contrats de vente de réacteurs nucléaires à l’export sont obtenus à des prix complètement bradés ».
Cela n’empêcha pas les opérateurs concernés, essentiellement Areva et EDF, soutenus au plus haut niveau de l’État, de poursuivre une politique agressive et coûteuse, de conquête de marchés à l’exportation de réacteurs nucléaires et l’EPR au premier chef.
À part ces cas qui coûtèrent et coûteront très cher aux Français, la période de 2005 à 2020, loin de la renaissance annoncée, a été marquée par une série d’échecs dans la stratégie d’exportation dont les plus importants sont ceux de l’EPR aux États-Unis, aux Émirats Arabes Unis et en Inde jusqu’ici, et celui du réacteur ATMEA en Turquie.
Il y a eu quelques autres tentatives avortées, notamment en Afrique du Sud et au Vietnam, mais il n’y a eu aucune exportation de réacteur de construction française sur cette période…
NDLR : l’article se poursuit par la liste exhaustive détaillée des projets d’EDF qui ne se sont jamais concrétisés depuis 2005, liste que vous pouvez consulter sur le site : https://blogs.mediapart.fr/bernard-laponche/blog/070420/nucleaire-les-illusions-perdues
Par Bernard Laponche – (Global Chance), publié le 6 avril 2020
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