Signé en 1968, le Traité sur la Non-Prolifération nucléaire est entré en vigueur le 5 mars 1970, fêtant donc récemment son 50ème anniversaire. L’occasion de se pencher sur son bilan : 50 ans plus tard, où en est la non-prolifération nucléaire en Europe et dans le monde ?
Depuis l’explosion de la première bombe atomique américaine en 1945 jusqu’à aujourd’hui, la situation a bien évolué… Entre la Seconde Guerre mondiale et l’année 1964 et à la suite des États-Unis, les cinq autres puissances mondiales, c’est-à-dire l’URSS, la France, le Royaume-Uni et la Chine acquièrent également l’arme atomique. Au début des années 60, le monde frôle à plusieurs reprises la crise nucléaire (à Berlin en 1961, puis à Cuba en 1962), ce qui ouvre la voie à des négociations en vue de la non-prolifération des armes nucléaires.
Les négociations durent trois ans, de 1965 à 1968, et un texte est finalement signé le 1er juillet 1968 par trois des États possédant l’arme nucléaire, les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni, et 40 autres pays. La France et la Chine n’y adhérent qu’en 1992. Le traité s’appuie principalement sur un double principe : les États dotés de l’arme nucléaire (EDAN) s’engagent à ne pas en fournir, les États non dotés de l’arme nucléaire (EDNAN) s’engagent à ne pas tenter de l’obtenir. Le traité vise également, à terme, à un désarmement général.
Plus facile à dire qu’à faire : le demi-échec du TIAN
Les objectifs de non-prolifération des armes nucléaires sont néanmoins difficiles à mettre en œuvre. Tout d’abord, l’adhésion au traité n’est pas une garantie absolue. La Corée du Nord s’est ainsi retirée en 2003 avant de le réintégrer en 2005. De plus, il va de soi qu’il n’engage que les États qui l’ont signé : 3 États non-signataires, l’Inde, le Pakistan et Israël, ont ainsi développé des armes nucléaires. Néanmoins, après l’effondrement de l’URSS, la Biélorussie, l’Ukraine et le Kazakhstan, qui abritaient du matériel nucléaire soviétique, ont accepté de rendre les armes nucléaires à la Russie pour éviter la prolifération nucléaire dans les anciennes républiques soviétiques.
En 2017, une tentative a été faite d’interdire complètement les armes nucléaires à l’international avec le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté par l’Assemblée générale de l’ONU. Bien que signé par 122 pays, le vote de ce traité a été largement boycotté par les puissances nucléaires et les États européens membres de l’OTAN, montrant l’importance qui est encore accordée à la dissuasion nucléaire comme garant de la sécurité des États. En revanche, ce traité a été signé par 2 États européens neutres, l’Autriche et l’Irlande.
Et en Europe ?
La France est très attachée à sa force de dissuasion nucléaire. Dans la lignée de la doctrine gaullienne, le pays tient beaucoup à l’arme nucléaire comme défense de ses intérêts vitaux, croyant qu’elle ne devrait pas simplement s’appuyer sur les États-Unis pour sa défense, en vertu du « principe de suffisance ». En outre, posséder l’arme nucléaire est pour la France et le Royaume-Uni une garantie de leur siège au Conseil de sécurité de l’ONU, aux côtés des « grands » (les États-Unis, la Chine et la Russie). Ce n’est pas par hasard que la France n’a adhéré qu’en 1992 au TNP et qu’elle est à l’origine du principe de « l’autonomie stratégique », devant ouvrir la voie à une défense européenne.
Le reste des pays européens n’ont pas la même vision que la France. Ainsi, l’Autriche a adhéré au TIAN, et l’Allemagne est historiquement très opposée au nucléaire. Cependant, il faut noter que même si seuls la France et le Royaume-Uni possèdent l’arme nucléaire, plusieurs pays européens abritent des armes nucléaires sur leur territoire au titre de leur appartenance à l’OTAN. Ainsi, dans le cadre du partage nucléaire (le fait que les membres de l’OTAN doivent pouvoir déployer de l’armement nucléaire dans le cadre de la politique de dissuasion), la Belgique, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Grèce et la Turquie possèdent ou ont possédé des équipements sur leur territoire. De manière intéressante, si pour la France le nucléaire est un enjeu d’autonomie et de souveraineté, pour le reste de l’UE, c’est plutôt, à l’inverse, un enjeu de fidélité à l’OTAN.
La situation est néanmoins en train d’évoluer. D’abord parce que les préoccupations liées aux émissions de CO2 poussent beaucoup de pays à développer un programme nucléaire civil, l’énergie nucléaire représentant 15% de l’électricité produite en Europe. Ensuite, les incertitudes autour de l’engagement américain dans l’OTAN, même si le pays reste très actif, ouvrent là aussi la voie à des changements. Récemment, Emmanuel Macron a ainsi appelé les pays de l’UE à un dialogue sur la « dimension européenne » de la dissuasion nucléaire française, laissant éventuellement envisager que la France pourrait faire profiter à d’autres pays européens de son « parapluie nucléaire » pour mieux garantir la sécurité européenne. En parallèle, le député allemand Johann Wadephul, un proche d’Angela Merkel, a émis l’idée controversée que la France cède ses armes nucléaires à l’UE – avec le Brexit, la France se retrouve seule puissance nucléaire officielle dans l’UE.
L’Europe dans des feux croisés
L’Europe, et surtout ces puissances nucléaires, entendent assumer leur rôle mondial dans le domaine de la non-prolifération, en faisant respecter les accords passés. Mais là encore ce n’est pas chose facile : l’UE doit composer avec les autres puissances nucléaires dans le monde, en particulier les États-Unis, la Russie et plus récemment l’Iran. En 2019, le Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI), signé en 1987 par la Russie et les États-Unis, avait déjà pris fin après que les États-Unis avaient accusé la Russie de l’avoir violé, les deux parties s’étant retirées malgré les avertissements de l’Europe sur le risque d’un retour de la course au nucléaire.
De même, en 2015, l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien était signé entre les cinq membres permanents du Conseil de l’ONU, également puissances nucléaires (Chine, Russie, États-Unis, France, Royaume-Uni), l’Allemagne, l’Iran et l’UE. Cet accord engageait l’Iran à limiter son programme nucléaire et ses stocks d’uranium, en échange de quoi les autres signataires levaient les principales sanctions contre l’Iran. Cependant, les États-Unis se sont retirés de l’accord en 2018 pour renouveler les sanctions économiques.
En réaction, l’Iran a commencé à se défaire de ses engagements, notamment en dépassant la limite des stocks d’uranium prévue par le traité. La situation s’est aggravée début 2020 après l’assassinat du général Soleimani par les Américains, poussant la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne à déclencher un mécanisme de règlement des différends (MRD) qui pourrait à terme conduire l’ONU à rétablir les sanctions iraniennes. En février, l’Iran a menacé de se retirer du TNP.
Enfin, la possession de l’arme nucléaire par l’Inde et le Pakistan (ainsi que par leur voisin la Chine, rival historique de l’un et allié de l’autre) rend extrêmement dangereuses les tensions entre ces deux pays, et la Corée du Nord continue ses essais atomiques. Les circonstances sont donc compliquées et l’Europe a du mal, non seulement à s’entendre en son sein sur la non-prolifération nucléaire, mais également à faire appliquer ce principe dans un monde en constante évolution. Les divergences entre ses membres et la difficulté de s’imposer face à d’autres acteurs affaiblissent son autorité et sa marge de manœuvre.
Par Noémie Chemla, publié le 12 avril 2020
Photo en titre : Les missiles sont loin de disparaitre de la planète. Source : StockSnap de Pixabay
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