Il est même aveuglant. Il est très difficile à regarder parce qu’il remet en cause trop de logiques installées, trop d’intérêts puissants, trop de peurs de déranger. « La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil » écrivait René Char.
Cette forme de vérité du nucléaire peut interroger en particulier des personnes qui y travaillent sous de multiples formes, des décideurs et des citoyen(ne) ouverts à d’autres possibles, et parfois on ne sait pas si l’on a marché sur un débris qui se perd sous nos pas ou sur une semence qui va pousser peu à peu.
1-L’énumération de réalités nucléaires rassemblées en un Argument
Toutes les raisons de refuser le nucléaire quand il n’est pas encore là et de sortir rapidement du nucléaire quand il est là, ont un point commun. Lequel ?
– Les accidents nucléaires (aux nombreuses causes prévisibles, probables, improbables et imprévisibles, internes et externes),
– les plans, à ce jour dramatiquement dérisoires, pour faire face aux accidents nucléaires,
– les démantèlements de centrales nucléaires et de l’ensemble de la filière nucléaire,
– la décontamination des sites et des régions gravement dégradées,
– les déchets nucléaires, militaires et civils, passés, présents et à venir,
– la prolifération entre le nucléaire civil et militaire, porteuse d’insécurité globale,
– la difficulté du droit à l’information, la surveillance des sociétés nucléarisées,
– les gigantesques sommes passées, présentes et à venir (générations futures comprises) englouties dans ce type d’énergie et dans ce moyen de défense qui accroit l’insécurité,
Toutes ces réalités ont un point commun. Il saute aux yeux pourvu qu’on les ouvre :
Il s’agit de mécanismes qui ont des effets sanitaires, environnementaux et, aussi, financiers, économiques, sociaux, stratégiques… QUI TENDENT À ÊTRE SANS LIMITES DANS L’ESPACE ET DANS LE TEMPS.
2-Le nucléaire n’a pas le monopole de ce « sans limites » mais il en a toutes les « qualités ! »
Certes le nucléaire n’a pas le monopole de cette immensité, par exemple le réchauffement climatique se situe aussi dans des effets incommensurablement longs.
Mais le nucléaire a au moins quatre aspects qui vont dans ce sens.
– Ce sont des effets particulièrement dramatiques sur le long et très long terme qui peuvent l’accompagner,
– C’est une cause précise, un domaine spécifique alors que, par exemple, le réchauffement a de multiples causes.
– C’est un ensemble, civil et militaire, qui a déjà de nombreuses alternatives en marche. Les États sans armes nucléaires sont les plus nombreux, nombreux aussi les États sans centrales nucléaires, c’est une situation connue mais il faut la souligner, et les démantèlements de toutes les filières du nucléaire, autrement dit des chantiers de lutte contre des pollutions nucléaires, seront porteurs de nombreux emplois, écologiquement, sanitairement, socialement et financièrement utiles. Et ces chantiers seront immensément longs.
– C’est « l’éternité » qui est clairement engagée quant aux déchets hautement radioactifs.
Ainsi après 2125, date jusqu’à laquelle les déchets seront réversibles, le « mausolée nucléaire français » de l’enfouissement sera scellé « pour l’éternité. »
Si ils et elles ne sont pas arrivées avant les générations futures, celles-ci, si elles sont encore là, risqueront de se trouver face à face « avec des glissements de terrain, des arrivées d’eau, des combustions, des explosions… » et ce qui sera consacré comme « crimes contre les générations futures » n’aura plus de responsables disparus depuis longtemps.
Sur une tombe était magnifiquement écrit
« Ce que j’ai gardé je ne l’ai plus, ce que j’ai dépensé je l’ai eu, ce que j’ai donné je l’ai. »
Les générations futures, si elles sont victimes de la radioactivité, (d’autres atteintes peuvent ne pas les épargner) pourront faire écrire sur leurs tombes en évoquant des générations passées, entre autres celles de 1945 à 2020 :
« Ce qu’elles ont gardé, elles ne l’ont plus mais pour notre malheur nous l’avons, ce qu’elles ont dépensé on ne l’a jamais eu, ce qu’elles ont donné, laissé en dépôt, leurs irresponsabilités, elles l’ont encore. »
Une des questions les plus cruciales pour la civilisation technologique, c’est de savoir comment agir sans compromettre « la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre. » « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d’une telle vie » écrit Hans Jonas. (Voir les quatre articles sur ce blog relatifs aux responsabilités.)
Je me rappelle avoir eu la chance de participer aux paroles de créations de chansons enregistrées en 1995 et 96, paroles de résistance à l’enfouissement de déchets nucléaires (« D’où vient l’eau du puits ? » DVD de Patricia Dallio ) où j’écrivais entre autres ceci :
« Le temps de la certitude a été synonyme de toute-puissance, il a sombré avec le Titanic.
Est venu le temps du doute, Tchernobyl est une sorte de dernier avertissement que les générations présentes se donnent à elles-mêmes.
Doit venir le temps de la précaution, il faut penser et agir à long terme pour éviter « l’irréparable ». Il faut le consacrer dans de multiples textes et s’emparer du principe de précaution face à des risques, mal connus ou inconnus, de dommages graves ou irréversibles.
Voulons-nous demain des petits-enfants sujets de leurs propres vies ou objets de la vie de quelques générations qui n’auront pas su prendre leurs responsabilités ?
Marché mondial cherche compétition, humanité cherche futur.
Oui, Camus avait raison : « Il n’y a d’humanisme que celui des hommes révoltés. »
Par Lavieille, publié le 30 avril 2020, (Blog : Jean-Marc Lavieille)
https://blogs.mediapart.fr/lavieille/blog/300420/antinucleaires-i-i-i
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