L’épidémie et ses conséquences ont perturbé les chantiers de maintenance et de rechargement du combustible dans les centrales nucléaires. Seule la moitié du parc est actuellement disponible et l’approvisionnement l’hiver prochain reste un sujet critique.
Activité «essentielle» au pays à qui elle fournit toujours plus de 70% de son électricité, la filière nucléaire a elle aussi subi les effets de la pandémie avec des conséquences qui pourraient se révéler aussi concrètes que la panne de courant. Avec l’instauration du confinement, l’absentéisme, le manque de masques et les difficultés à respecter les gestes barrières ont fait s’éterniser les chantiers sur quelque 21 réacteurs nucléaires, aujourd’hui toujours en rade. Conséquence : EDF a annoncé dès mi-avril une baisse historique de 20% de sa production nucléaire pour 2020, à 300 térawattheures (contre 375 à 390 térawattheures prévus).
Mais pour éviter d’aggraver la situation, il a surtout fallu revoir tout le planning des arrêts, y compris ceux relevant du «grand carénage» (gros travaux de remise à niveau destinés à prolonger la durée de vie des centrales nucléaires). L’idée étant d’organiser une moindre disponibilité du parc cet été afin de maximiser la production quand il fera froid.
«La maintenance de huit réacteurs prévue en 2020 a été reportée en 2021 et quatre réacteurs ont été réservés pour l’hiver, c’est-à-dire qu’ils seront arrêtés cet été et cet automne afin d’économiser leur combustible», explique un porte-parole d’EDF à Libération. Le résultat est que seuls 32 réacteurs sur 57 sont aujourd’hui connectés au réseau, représentant à peine 30 gigawatts de puissance contre 62 habituellement. Dans le même temps, la consommation d’électricité repart à la hausse : elle n’est plus que de 7% en dessous de la normale, contre 15% à 20% au plus fort de la crise. Pour le président du réseau de transport d’électricité, François Brottes, ces mesures étaient néanmoins «vitales» pour garantir la sécurité d’approvisionnement cet hiver. «Le déficit de disponibilité a été réduit de 15 gigawatts à 6. Sans ce réaménagement, le risque aurait été majeur», a-t-il reconnu jeudi après-midi lors d’un point presse conjoint avec la ministre chargée de l’Energie, Élisabeth Borne.
Le blackout «ni envisagé, ni envisageable»
Si l’été se révèle caniculaire ou que l’hiver s’annonce rigoureux, le gestionnaire de réseau a en réserve tout une série de «leviers complémentaires» qui permettront de garantir l’équilibre offre-demande : l’importation d’électricité en provenance des pays voisins pourrait ainsi représenter jusqu’à 10 gigawatts de puissance, la déconnexion de 22 sites industriels parmi les plus énergivores du pays pourrait soulager le réseau d’une demande de 1,5 gigawatts. Enfin, une baisse maîtrisée de la tension permettrait d’économiser jusqu’à 4 gigawatts : «Les ampoules perdront de leur flamboyance mais on continuera d’y voir !» a commenté le gestionnaire de réseau. L’ultime palier, enfin, serait la coupure temporaire de certaines parties du réseau mais «il n’est pas envisageable et il n’est pas envisagé quelque blackout que ce soit», a-t-il rassuré.
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Tout aussi rassurante dans son discours, la ministre a tout de même égrené tout un arsenal de nouvelles mesures destinées à amoindrir encore la consommation, notamment lors des périodes critiques. La mise en place d’un «coup de pouce Thermostat» subventionnant leur installation à hauteur de 150 euros doit permettre d’équiper de 20 000 à 40 000 foyers par mois, espère Élisabeth Borne. «Ils peuvent permettre de faire baisser la consommation jusqu’à 10% dans les foyers qui en sont équipés», a-t-elle défendu.
D’autre part, la ministre a réuni mercredi après-midi des professionnels de l’énergie pour parler effacement tarifaire, c’est-à-dire la mise en œuvre de tarifs d’électricité modulés en fonction de la disponibilité de la production. «J’attends des propositions pour le début du mois de juillet pour application dès septembre», a-t-elle prévenu.
Vers un modèle moins nucléarisé
Enfin, «l’effacement» des grands consommateurs professionnels comme certaines industries très énergivores – à savoir leur déconnexion temporaire volontaire pour soulager le réseau – sera également stimulé par le lancement d’appels d’offres où le mégawatt «effaçable» sera rémunéré jusqu’à 60 000 euros. En définitive, il faudra quand même mettre beaucoup de moyens pour garantir que la situation reste «parfaitement maîtrisée» et il restera une leçon que la ministre a déjà tiré toute seule : «Force est de constater que dépendre à 70% d’une seule source d’électricité ne permet pas d’être résilient.»
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L’épidémie de Covid-19 aura au moins démontré que la transition énergétique vers un modèle moins dominé par le nucléaire et faisant plus de place à une électricité verte (hydraulique, éolien, solaire..), intermittente mais finalement plus robuste face à l’imprévu, est plus que jamais d’actualité.
Par Anne-Claire Poirier, publié le 12 juin 2020 à 09:35
Photo en titre : La centrale nucléaire de Cattenom (Moselle), le 2 juin. Photo Sébastien Berda. AFP
https://www.liberation.fr/france/2020/06/12/la-crise-sanitaire-a-fragilise-la-resilience-du-nucleaire-francais_1791019
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