LA CONSTRUCTION DE NOUVEAUX RÉACTEURS NUCLÉAIRES NE SERA PAS TRANCHÉE AVANT LA PRÉSIDENTIELLE

Malgré les demandes insistantes de la filière nucléaire, Emmanuel Macron ne veut pas s’engager sur la construction de nouveaux réacteurs.

Il est urgent d’attendre. C’est visiblement la ligne choisie par Emmanuel Macron sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires, au grand désespoir de la filière. La décision de lancer en France de nouveaux chantiers EPR attendra après la présidentielle de 2022. Pourtant, le président de la République n’a rien d’un antinucléaire. Il a souvent affirmé que le nucléaire était un « choix d’avenir ». Mais l’Élysée est mis en difficulté par les errements de la filière, et en particulier le catastrophique chantier de Flamanville (Manche).

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En novembre 2018, lors de son discours sur la politique énergétique de la France, le président de la République avait fixé un agenda à EDF : revenir vers lui à la mi-2021 avec un dossier complet pour la construction de nouveaux réacteurs en France. La filière travaille depuis plusieurs années à un EPR2, présenté comme plus simple et moins coûteux, et plaide pour un programme de construction d’ampleur afin de faire des économies d’échelle. Mais ce tempo a été bousculé par la révélation de nouvelles difficultés à Flamanville : en juin 2019, l’Autorité de sûreté nucléaire demande à EDF de reprendre des soudures jugées non conformes. Or elles sont situées sur des tuyauteries cruciales pour le fonctionnement du réacteur, et les travaux nécessaires pour les refaire sont longs et coûteux. Résultat : alors qu’EDF espérait démarrer le réacteur fin 2020, l’entreprise est contrainte de repousser à 2023, soit après la présidentielle.

Démarré en 2007, le réacteur de troisième génération aurait dû voir le jour en 2012 et coûter 3,3 milliards d’euros. Il ne devrait pas être connecté au réseau avant 2023 et son coût de construction sera d’au moins 12,4 milliards d’euros – la Cour des comptes estime même qu’il pourrait dépasser 19,1 milliards d’euros au démarrage.

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« L’EPR est un boulet »

À l’été 2019, François de Rugy – historiquement antinucléaire – est remplacé par Élisabeth Borne au ministère de la transition écologique et solidaire. La filière nucléaire croit voir dans cette polytechnicienne une alliée. D’autant que la ministre cosigne en septembre avec Bruno Le Maire une lettre au patron d’EDF, Jean-Bernard Lévy, qui lui demande de travailler explicitement sur le scénario de la construction de six nouveaux réacteurs – et uniquement sur celui-ci. La filière nucléaire se réjouit, mais la fête est de courte durée. Elisabeth Borne ne poursuit pas dans cette voie et prend ses distances avec l’atome.

L’arrivée de Barbara Pompili renforce encore cette tendance au sein du gouvernement : l’ancienne cadre d’Europe Écologie-Les Verts n’a jamais caché son aversion pour le nucléaire. « Il est clair que son arrivée ferme la porte pour l’instant à toute décision », se désole un dirigeant du secteur. À l’Élysée, le discours est calé depuis plusieurs mois : « On ne peut pas prendre de décision, l’EPR est un boulet qui ralentit tout », expliquait-on déjà avant la crise sanitaire. On souligne explicitement que « le sujet ne pourra pas être porté dans la campagne présidentielle ».

Un scénario noir pour la filière, qui craint que l’absence de décision accentue la perte de compétences industrielles, d’autant que le calendrier du nucléaire est toujours étendu. « Il faut trancher au premier semestre 2021 au plus tard, au moins sur la construction d’une première paire de réacteurs, sinon on se met en danger », s’inquiète Valérie Faudon, déléguée générale de la Société française d’énergie nucléaire. L’exécutif a bien l’intention de recevoir le dossier détaillé d’EDF en 2021, mais rien ne sera tranché tant que l’EPR ne sera pas opérationnel.

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Par Nabil Wakim, publié le 17 juillet 2020 à 09h15, mis à jour le 17 juillet 2020 à 11h28

Photo en titre: EPR Flamanville, EDF

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