AU JAPON, UNE USINE DE RETRAITEMENT DE DÉCHETS NUCLÉAIRES QUI DÉBORDE

Un site nucléaire en construction depuis trente ans, dont la date de mise en service ne cesse d’être reportée et dont le coût a explosé… Non, on ne parle pas ici de l’EPR (réacteur à eau pressurisée) de Flamanville mais de Rokkasho, une usine de retraitement de déchets nucléaires située au nord de Honshū, l’île principale de l’archipel nippon.

Sa construction est lancée en grande pompe en 1993 par le groupe japonais Japan Nuclear Fuel Limited (JNFL). L’usine est alors censée être achevée quatre ans plus tard en 1997, pour un coût initial estimé à 760 milliards de yens [6,10 milliards d’euros].

Vingt-trois ans plus tard et après vingt-quatre reports au total, JNFL vient d’annoncer que le début des opérations ne pourra probablement pas avoir lieu en 2021 comme prévu. Le coût de construction a lui bondi à 2.900 milliards de yens [23,26 milliards d’euros] et l’existence même de l’usine semble compromise.

Sur le papier, Rokkasho était pourtant censé être le fer de lance d’une nouvelle filière de réacteurs nucléaires capable d’utiliser du combustible nucléaire recyclé, comme l’ex-Superphénix français (arrêté en 1997). À terme, Rokkasho doit ainsi prendre en charge jusqu’à 800 tonnes de combustible usagé par an pour en extraire huit tonnes de plutonium, destiné à produire du MOX utilisable dans ces surgénérateurs. Le Japon s’inspire de l’usine de la Hague en France et s’appuie d’ailleurs sur l’expertise du groupe français Orano (ex-Areva).

Le chantier est incroyablement complexe: il comprend pas moins de trente-cinq bâtiments en béton de toutes tailles, 1.500 kilomètres de tuyauterie et implique un millier de sous-traitants divers.

Cascade de pépins

Les problèmes ne vont cesser de s’enchaîner. Dès le départ, le projet se heurte à une contestation massive des associations écologistes et d’opposant·es locaux, qui multiplient les recours et les opérations coup de poing pour faire capoter la construction.

En 2007, un défaut majeur d’ingénierie est détecté dans le système de protection sismique. Hitachi, le fournisseur en charge des parties concernées, explique alors qu’un sous-traitant a utilisé pour ses calculs un spectre d’oscillation erroné.

Le procédé de vitrification, que le Japon a refusé d’acheter à la France, s’avère particulièrement délicat à mettre en œuvre. Lors des essais, des éléments du couvercle du four de vitrification se détachent et adhèrent aux déchets radioactifs de surface, ce qui nécessite un nettoyage complet du four et entraîne d’importants retards.

En 2011, c’est le coup de grâce: le séisme et la catastrophe de Fukushima poussent le régulateur du nucléaire japonais (NRA) à revoir drastiquement ses normes de sécurité à la hausse. Il faut entièrement revoir les plans et le chantier.

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Nouveau scandale en 2017, lorsqu’on découvre que le JNFL n’a pas effectué les inspections nécessaires sur une partie de l’usine pendant quatorze ans, ce qui a entraîné le déversement de près d’une tonne d’eau de pluie dans un bâtiment abritant un générateur diesel de secours.

Surtout, l’utilité même de l’usine est remise en question, alors que le réacteur de Monju, le surgénérateur devant utiliser le combustible MOX, a entre-temps été mis en démantèlement suite à une série de problèmes, dont une fuite de liquide de refroidissement au sodium.

Seuls quatre réacteurs japonais sont aujourd’hui capables de fonctionner au MOX, loin des seize à dix-huit planifiés avant la catastrophe de Fukushima. Les ressources abondantes d’uranium «frais» ont par ailleurs miné la viabilité économique du recyclage.

En attendant, 18.000 tonnes de combustible usagé s’entassent au Japon, dont 3.000 à Rokkasho, où le plafond des capacités de stockage a été atteint il y a quatre ans.

Le pays est bien embarrassé par ses 45 tonnes de plutonium, qui suscitent les inquiétudes internationales, ce dernier pouvant être converti en armes nucléaires. Un casse-tête de plus pour la filière nucléaire japonaise, déjà en difficulté.

Par Céline Deluzarche, publié le 11/08/2020 à 7h00, mis à jour le 11/08/2020 à 9h24

Photo en titre : Gardés par des militaires, des containers attendant de recevoir un combustible nucléaire retraité en France, 1999. |  Kazuhiro Nogi / AFP

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