DUNGENESS, UNE CENTRALE NUCLÉAIRE VIEILLISSANTE ET SENSIBLE FACE À LA CÔTE D’OPALE

Située à cinquante kilomètres de la côte boulonnaise, juste de l’autre côté de la Manche, la centrale nucléaire de Dungeness n’est pas au mieux de sa forme. Ses deux réacteurs ont été mis « hors ligne » en août et septembre 2018 pour des opérations de maintenance. Depuis, de nombreuses anomalies ont été repérées et l’usine n’a pas repris son activité. C’est le premier volet de notre enquête sur cette usine aussi sensible que méconnue.

La centrale nucléaire de Dungeness fait face aux côtes françaises. Située à 50 km de Boulogne-sur-Mer, elle est aussi proche que celle de Gravelines à vol d’oiseau.
Photo archives

Depuis la Côte d’Opale, impossible de l’apercevoir. Posée au ras de la plage, loin des falaises de Douvres qui culminent à plus de 100 mètres de haut, la centrale nucléaire de Dungeness est invisible derrière la ligne d’horizon. C’est peut-être pour cela qu’on en parle si peu de ce côté-ci de la Manche. Pourtant, cette impressionnante usine, mise en service en 1983, génère à elle seule 12 % de la production électrique nucléaire en Grande-Bretagne. En temps normal, du moins.

Car depuis deux ans, les deux réacteurs de Dungeness B (1), d’une capacité totale de 1050 MW, sont en stand-by. Le premier a été mis hors ligne en août 2018, le second un mois plus tard. Cette « coupure légale » ne devait durer que trois mois, le temps pour l’opérateur, le groupe EDF Energy, de mener des inspections de routine et des réparations, comme c’est le cas tous les trois ans. Mais les choses se sont légèrement compliquées.

Des fissures liées à la corrosion

Au fil des contrôles réalisés par les ingénieurs et par les inspecteurs de l’Office de régulation nucléaire (Office for nuclear regulation, ONR), de sérieux défauts sont apparus. « Les inspections effectuées (…) ont révélé que les dispositifs de retenue sismique, les tuyauteries et les réservoirs de stockage associés à plusieurs systèmes assurant une fonction de sécurité se sont avérés corrodés à un niveau inacceptable », notait l’ONR dans son relevé trimestriel des incidents civils, en décembre 2018.

Des fissures ont notamment été détectées sur les canalisations d’eau de refroidissement auxiliaire et sur les soupapes de sûreté de la cuve sous pression du réacteur. Ce qui a valu à Dungeness d’être classé fin 2018 au niveau 2 sur l’échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques, qualifiant un « incident ». « Si les réacteurs avaient fonctionné au moment de cette découverte, cela aurait conduit à l’arrêt des deux réacteurs, ont noté les inspecteurs de l’ONR dans leur rapport du 3ème semestre 2019. Cependant, ils sont actuellement à l’arrêt et les conséquences réelles ont donc été réduites. »

Pas de remise en route avant décembre

Depuis, la remise en route des deux réacteurs ne cesse d’être repoussée. D’abord annoncée pour janvier 2020, elle a ensuite été décalée à juillet. Et aux dernières nouvelles, ça ne sera pas avant décembre. Même si la direction du site assure avoir mené d’importants travaux (lire ci-contre), ces déconvenues posent question quant à l’état général de cette centrale située à cinquante kilomètres de Boulogne-sur-Mer. Et dont la fin de l’exploitation, prévue initialement en 2018, a été repoussée de dix ans par le gouvernement britannique.

Située sur le même site, la centrale nucléaire Dungeness A, mise en service en 1963, est arrivée en fin de vie en 2006. Ses deux réacteurs ont été déconnectés du réseau. De l’autre côté de la Manche, des centrales nucléaires vieillissantes.

Les défauts relevés sur les installations de Dungeness B ces derniers mois témoignent clairement du vieillissement de cette centrale nucléaire, en service depuis 37 ans. Ils posent aussi les limites de la prolongation de son exploitation, alors que ce site a reçu la bénédiction du gouvernement britannique pour continuer à fonctionner au moins jusqu’en 2028. Et ce n’est pas le seul dans ce cas.

En Grande-Bretagne, six sites nucléaires (sur sept au total) devaient être arrêtés en 2016 et 2023, mais ils ont tous été prolongés de quatre à dix ans. EDF Energy, qui gère ces centrales, sait que la tâche n’est pas simple. « À mesure que la flotte britannique vieillit, nous comprenons que l’exploitation continue posera des défis techniques, c’est pourquoi nous inspectons et évaluons en permanence la santé de toutes les usines de l’entreprise », explique le groupe. Ce qui implique des investissements conséquents, comme à Dungeness.

Parallèlement, de nouveaux réacteurs devaient être construits outre-Manche, notamment un EPR à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre, porté par EDF. Mais pour chaque projet, les factures s’annoncent salées et le gouvernement a beaucoup de mal à trouver des candidats parmi les opérateurs privés. Début septembre, le groupe japonais Hitachi a abandonné son projet de nouvelle centrale au Pays de Galles.

La direction de la centrale reconnaît un problème de corrosion sur l’ensemble du site.

Depuis la mise à l’arrêt des deux réacteurs nucléaires, la direction de la centrale a fait appel à plus de 500 prestataires spécialisés, en plus de ses 550 employés.

Dans ce dossier, la direction de la centrale nucléaire de Dungeness B joue la transparence. Elle n’a d’ailleurs pas vraiment le choix puisque l’Office de régulation nucléaire met en ligne chaque trimestre un rapport détaillé de ses inspections du site, dans lequel tous les dysfonctionnements sont répertoriés.

Dans un échange de mails avec notre rédaction, EDF Energy reconnaît que sa centrale présente des faiblesses liées au vieillissement des installations. « Il est apparu en 2018, dans le cadre du programme de maintenance et d’inspection planifié d’EDF, que la corrosion était un problème sur l’ensemble du site de Dungeness. Pour cette raison, nous avons accéléré les inspections et les mises à niveau sur l’ensemble du site et avons profité de l’occasion d’être «hors ligne» pour entreprendre des travaux plus larges et investir plus d’argent que prévu. »

Plus de 1000 personnes mobilisées sur le chantier

Plus de 100 millions de livres (109 M€) auraient déjà été investis dans ce chantier, qui a mobilisé depuis le début de l’arrêt technique « plus de 500 prestataires spécialisés », en plus des 550 employés de la centrale. La direction souligne au passage qu’en tant qu’« opérateur responsable », elle « signale volontairement tout problème au régulateur britannique (l’ONR, NDLR), car cela nous aide à nous améliorer et nous accueillons toutes ses remarques ».

« La sécurité est notre priorité absolue, et nous ne relancerons l’exploitation (…) que lorsque nous aurons l’approbation du régulateur. »

Les travaux de mise à niveau du système de refroidissement d’eau sont désormais terminés, mais des « défis techniques imposés par les travaux d’amélioration ont pris plus de temps que prévu ». Désormais, le redémarrage de Dungeness B n’est pas envisagé avant décembre. « La sécurité est notre priorité absolue, et nous ne relancerons l’exploitation (…) que lorsque nous aurons l’approbation du régulateur et que nous nous serons assurés qu’il est possible de le faire en toute sécurité », insiste la direction.

Par Sylvain Delage, publié le 28 septembre 2020

https://www.lavoixdunord.fr/871509/article/2020-09-28/dungeness-une-centrale-nucleaire-l-arret-force-depuis-deux-ans-face-la-cote-d