DU TRITIUM À UN NIVEAU ÉLEVÉ DANS UNE CENTRALE RELANCE LE DÉBAT SUR LE NUCLÉAIRE EN CORÉE DU SUD

La substance radioactive a été détectée à proximité des réservoirs de stockage des combustibles usagés. Le gouvernement coréen s’est engagé à sortir de l’atome d’ici à 2060.

Les révélations, vendredi 8 janvier, sur la présence de tritium à des niveaux supérieurs aux normes sur le site de la centrale nucléaire de Wolseong, dans le sud-est de la Corée du Sud, ravivent les débats sur la politique de sortie de l’atome du président, Moon Jae-in, dont le symbole est l’arrêt du réacteur 1 de Wolseong, fermé en 2018 alors qu’il devait fonctionner jusqu’en 2022.

Le Parti démocrate, au pouvoir, a demandé mi-janvier l’ouverture d’une enquête parlementaire sur cette question du tritium, qui démontre, selon son président, Lee Nak-yon, qu’il était « inévitable d’arrêter le réacteur plus tôt que prévu en raison de sa détérioration ». Le Parti du pouvoir du peuple, principale formation de l’opposition, a répliqué en dénonçant une tentative pour détourner l’attention du public d’une enquête sur des pressions présumées, de la part de la présidence, pour stopper le réacteur 1. Lundi 25 janvier, les enquêteurs ont convoqué Paik Un-gyu, ministre de l’industrie au moment de la décision d’arrêter ce réacteur.

La présence du tritium dans le périmètre de la centrale a été révélée le 8 janvier par la chaîne MBC. Une activité de 713 000 becquerels (Bq) de tritium a été détectée dans un puisard à proximité de réservoirs de stockage de combustible usagé. L’information a ensuite été confirmée par Korea Hydro & Nuclear Power (KHNP, opérateur national du nucléaire).

Activité « insignifiante »

Le tritium est un isotope de l’hydrogène produit principalement par les centrales et les explosions nucléaires. Selon l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), sa toxicité pour l’environnement est limitée « à ses émissions radioactives de type bêta pur de faible énergie ». Mais ses radiations ionisantes « peuvent provoquer diverses lésions de l’ADN » avec, pour l’organisme exposé, des risques « d’effets physiologiques ».

Aucune contamination de l’environnement n’a été observée autour de la centrale de Wolseong et l’incident ne présenterait pas de danger, assurent les autorités nucléaires sud-coréennes. Les 713 000 Bq ont été détectés à un point précis. L’eau qui s’écoule par le puisard présente une activité d’environ 13,2 Bq par litre, « insignifiante par rapport à la norme fixée à 40 000 Bq/L », précise KHNP.

Le niveau de tritium aurait commencé à monter en 2017, à la suite des tremblements de terre de magnitude 5,1 et 5,8 survenus en septembre 2016. Située à 28 kilomètres de l’épicentre, la centrale avait été arrêtée par précaution. KHNP affirme avoir signalé en avril 2019 l’augmentation des niveaux de tritium aux autorités et aux organisations de résidents.

Les révélations de MBC ont relancé les débats sur le réacteur 1 de cette centrale mise en service en 1983, et de ce fait la deuxième plus ancienne du pays. En 2013, les autorités avaient stoppé ce réacteur, qui avait atteint les trente années fixées pour son utilisation. Un débat avait suivi sur son maintien en activité pour dix années supplémentaires. En 2015, l’administration de la présidente conservatrice, Park Geun-hye, avait tranché dans ce sens et débloqué 700 milliards de wons (518 millions d’euros) pour le mettre à niveau.

Défiance de la population

L’arrivée au pouvoir de Moon Jae-in, en 2017, a changé la donne. Conformément à ses engagements de campagne, le président progressiste a annoncé une sortie du nucléaire d’ici à 2060. Il a promis d’abaisser à 17 le nombre de réacteurs nucléaires, contre 24 aujourd’hui, qui représentent 23 % du bouquet énergétique national. En décembre 2017, son gouvernement a annulé le projet de construction d’une nouvelle centrale, équipée de quatre réacteurs, à Cheonji, dans l’est du pays. Et le réacteur 1 de Wolseong a été définitivement arrêté en 2018 par KHNP.

Cette dernière décision a été critiquée par le Bureau national d’audit, qui y a vu un gaspillage d’argent public. Une enquête a, par ailleurs, été ouverte par le parquet de Séoul, qui soupçonne des pressions gouvernementales pour arrêter rapidement le réacteur, une décision considérée par le quotidien conservateur JoongAng comme ayant vocation à « symboliser la volonté présidentielle ».

Le nucléaire est très débattu en Corée du Sud, notamment depuis la catastrophe de Fukushima de mars 2011 au Japon voisin. Fin 2011, 1 000 milliards de wons avaient été débloqués sur cinq ans par le ministère des sciences (MEST) pour « améliorer la sûreté » des sites, entre autres en matière de résistance sismique. Or la défiance de la population a été exacerbée par une série de scandales entre 2012 et 2014, découlant de la contrefaçon de pièces détachées et de l’établissement de faux certificats de sécurité.

Une réforme avait été entreprise avec la création de la Commission de sûreté et de sécurité nucléaires (NSSC), nouvelle instance de régulation que les autorités ont voulue indépendante du MEST, l’une des deux administrations, avec le ministère de l’économie et du savoir, à promouvoir le nucléaire. Le tritium de Wolseong relance les débats sur la politique nucléaire. Ils devraient se poursuivre dans un pays pauvre en ressources naturelles, engagé en octobre 2020 par M. Moon à réduire à zéro d’ici à 2050 ses émissions de gaz à effet de serre, un choix synonyme de redéfinition de la politique énergétique.

Par Philippe Mesmer, (Tokyo, correspondance) publié le 26 janvier 2021 à 18h15

Photo en titre : Centrale nucléaire de Wolsong — Wikipédia

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