L’IDÉE DU SIÈCLE : LE TERRITOIRE DES DÉCHETS NUCLÉAIRES DE LA HAGUE LABELLISÉ UNESCO

En faisant candidater La Hague, dans la Manche, au statut de Géoparc mondial Unesco, la mairie s’est attiré les foudres de nombreux habitants et des partis d’opposition. Pour l’auteur de cette tribune, les sites de retraitement et stockage de déchets nucléaires qu’abrite la commune sont incompatibles avec un tourisme de masse.

Le 8 février 2021, les habitants de La Hague (Manche) apprenaient par l’intermédiaire du site internet de la mairie que leur commune candidatait au statut de Géoparc mondial Unesco, un label créé fin 2015 qui consacre des « sites et paysages de portée géologique internationale […] gérés selon un concept global de protection, d’éducation et de développement durable ». Sachant que ce type de projet est en général l’occasion d’aménagements touristiques d’ampleur, La Hague, « presqu’île au nucléaire », allait donc devenir un site touristique hautement fréquenté. La chose paraissait surréaliste, et posait quelques questions aux habitants, qui auraient aimé être consultés.

La page de présentation du futur Géoparc sur le site de la mairie de La Hague a donc de quoi questionner ses lecteurs. Bien qu’elle définisse les grandes lignes idéologiques du label — préservation, valorisation et transmission du patrimoine géologique, —, cette annonce des plus discrètes omet toute information quant à ses effets matériels sur la vie des habitants.es. Si la mairie souhaite que le projet englobe l’entièreté des dix-neuf communes de La Hague, sa budgétisation, tout comme le devenir des zones agricoles, portuaires, des espaces publics ou privés, semblent être des questions subsidiaires.

Voilà pourquoi les deux listes d’opposition (la liste citoyenne Hag’Avenir et Nouvelle Hague) ont conjointement demandé la mise en place d’un référendum local. Qui a été refusé par la maire Manuela Mahier lors du conseil municipal du 16 février, au prétexte qu’un « séminaire ouvert aux élus » s’était déroulé l’été dernier afin de recueillir leurs avis. L’opposition, au même titre que les électeurs de la liste victorieuse, ne semble avoir compris que tardivement l’ampleur d’un tel projet. Une longueur d’avance qui conforte Manuela Mahier dans son désir de mener unilatéralement la mise en parc de la presqu’île.

La péninsule de La Hague et l’agglomération cherbourgeoise, vues du ciel.

Les sites les plus nucléarisés au monde

Prévu pour le 31 novembre 2021, le dépôt de candidature était sans doute trop éloigné pour l’édile, qui devait trépigner à l’idée de « valoriser » le patrimoine commun : dans un article de La Presse de la Manche, daté du 29 avril 2019, les habitants apprenaient que La Hague (et eux avec) avait été présélectionnée pour intégrer le réseau des Grands Sites de France (GSF).

Mais à quel titre la presqu’île de La Hague, zone Natura 2000 dont la lande et les récifs sont déjà protégés par le conservatoire du littoral, nécessitait-elle une garde supplémentaire ? À quoi donc peuvent bien servir ces étiquettes ? C’est simple : le Géoparc mondial Unesco finance un plan de gestion du patrimoine qui doit être intégré par la gouvernance territoriale : en plus de leur préservation, il procure aux sites une visibilité internationale. Le label Grand Site de France permet quant à lui de faciliter les partenariats financiers et d’encadrer les aménagements touristiques des sites patrimoniaux « hautement fréquentés ».

C’est donc ça : Manuela Mahier a l’ambition de faire de La Hague une vitrine du tourisme patrimonial en augmentant son attractivité et ses capacités d’accueil. Cependant, une question subsiste : la mairie se souvient-elle qu’au beau milieu du plateau de La Hague se trouvent une usine de retraitement des déchets nucléaires (Orano, ex-Areva) et le site de stockage de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), où gisent cinquante ans de déchets radioactifs ? Faut-il rappeler au jury de l’Unesco et des Grands Sites de France que le plateau de La Hague est cerné, à l’Est, par Naval Group et son arsenal de sous-marins nucléaires et, au Sud, par les réacteurs de la centrale de Flamanville ?

L’usine de retraitement de La Hague.

Ce problème sanitaire qu’implique l’ouverture d’un des sites les plus nucléarisés au monde aux flux touristiques est en effet passé sous silence. Tout comme les multiples accidents qui s’y perpétuent depuis les incendies des deux transformateurs en avril 1980 et du silo de stockage en janvier 1981 [1], sans compter les fuites du centre de stockage. Malgré les nombreux constats de pollution des airs et des eaux, le réel danger qu’impliquent l’habitation et la fréquentation des alentours de la poubelle du nucléaire ne constitue pas, aux yeux de nos élus, un critère de remise en cause du développement touristique.

La mairie actuelle de La Hague s’inscrit ainsi dans la sombre lignée des politiques verticales qui frappèrent la région dès les débuts de son industrialisation : si la nucléarisation s’est faite d’un coup de sceptre gaullien, la vitrine patrimoniale et le tourisme de masse tentent eux aussi de s’implanter au mépris de la consultation publique et des problèmes socio-écologiques qu’ils soulèvent.

La mairie de La Hague.

Un débat public nécessaire

Les Haguais n’ont pas attendu l’ère des politiques de sauvegarde pour faire vivre leurs éco-savoirs. La survivance des petites cultures communautaires, des techniques de pêche vernaculaires et l’effervescence de l’artisanat témoignent d’un attachement particulier à l’environnement et à la beauté des paysages, malgré l’influence grandissante de l’industrie. Dans le souci commun de préserver leur patrimoine environnemental et les modes de vie qui en découlent, ils souhaitent souligner ici l’urgente nécessité d’un débat public sur les effets secondaires du tourisme et la prétendue compatibilité des politiques de conservation avec l’industrie nucléaire. Car cette dernière semble elle aussi vouloir résister : nous savons depuis deux ans qu’Orano veut augmenter de 25 % sa capacité de stockage en agrandissant de 1 500 m2 son site et y entreposer 6 000 conteneurs de déchets supplémentaires.

Le Grand Site-Géoparc peut-il se permettre d’accueillir ces déchets ou bien se contentera-t-il de faire diversion en sublimant les rivages de la presqu’île pour mieux cacher l’industrie nocive qu’ils abritent ?

Afin de nous aider, nous, Haguais, à disposer de notre avenir, nous vous invitons à signer cette pétition, qui, espérons-le, fera reconnaître notre droit au référendum local.

Par Un habitant de la presqu’île, publié le 15 mai 2021 à 10h48

Photos :

. Chapô : Usine de retraitement de La Hague, en 2008, alors Areva. Wikimedia Commons/CC BY-SA 2.0 FR/Jean-Marie Taillat

. Péninsule – CC BY 2.0 Phillip Capper/Flickr via Wikimedia Commons

. Mairie – CC BY-SA 4.0 Momo50WM/Wikimedia Commons

. Usine – CC BY-SA 2.0 Jean-Marie Taillat Areva La Hague/Wikimedia Commons

– Dans les tribunes, les auteurs expriment un point de vue propre, qui n’est pas nécessairement celui de la rédaction.
–  Titre, chapô et intertitres sont de la rédaction.

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