Le gouvernement britannique ne veut plus accueillir de projet de centrale nucléaire impliquant des opérateurs chinois sur son sol. Problème : ils représentent le principal partenaire financier d’EDF pour la construction de ses réacteurs outre-Manche. Dans l’expectative, le groupe français s’impatiente.
Après l’affaire des sous-marins australiens, l’industrie française va-t-elle connaître une nouvelle déconvenue, cette fois-ci au Royaume-Uni sur le terrain du nucléaire civil ? D’après le Financial Times (FT) du 29 septembre, le gouvernement de Boris Johnson, dont les relations avec la Chine se sont détériorées, compte en effet remettre en cause l’accord tripartite sino-franco-britannique concernant les chantiers nucléaires sur des sites d’EDF outre-Manche. Chantiers qui constituent la majeure partie des débouchés actuels du nucléaire civil français.
Certes, le projet le plus important d’EDF – les deux EPR d’Hinkley Point C – cofinancé à hauteur de 30 % par l’opérateur chinois China General Nuclear Power Group (CGN) ne devrait pas être affecté au regard de son bon état d’avancement. En revanche, le déroulement des deux autres projets, à Sizewell et Bradwell, encore en phase d’études, va être chamboulé.
Sizewell menacé
Concernant celui de Sizewell C dans le Suffolk, qui est très important pour EDF, le gouvernement britannique s’apprête à frapper fort. Estimée à 20 milliards de livres sterling, la construction de deux réacteurs EPR devait être financée à hauteur 20 % par CGN. Or, selon le FT, les responsables politiques britanniques envisagent d’évincer l’opérateur chinois du projet, en faisant pression pour que sa participation soit vendue à des investisseurs institutionnels ou introduite en Bourse. Ce qui remet de facto en cause le montage financier de l’opération.
Cela n’a pas manqué de faire réagir la direction d’EDF : toujours dans le FT, le 3 octobre, le chef de la branche britannique d’EDF Simone Rossi a averti qu’il était « urgent » que le gouvernement britannique se décide sur l’avenir de la centrale nucléaire de Sizewell.
L’inquiétude est d’autant plus importante qu’en parallèle, le gouvernement britannique mise sur un projet de réacteurs d’un consortium américain, mené notamment par la compagnie nucléaire Westinghouse, en préparation à Wylfa, au Pays de Galles, un site abandonné par l’industriel japonais Hitachi. Il faut espérer pour EDF qu’il n’y ait pas substitution entre les deux projets.
La Chine exclue de Bradwell
Enfin, pour ce qui concerne Bradwell, dans l’Essex, en revanche, la messe semble dite. Il y était prévu la construction de deux réacteurs chinois Hualong-1 par CGN sur du foncier dont EDF a la jouissance. Ce dernier projet était absolument stratégique pour la Chine : les réacteurs Hualong-1 sont les favoris pour devenir la technologie de pointe du nucléaire civil. Une dizaine est d’ailleurs déjà en construction en Chine et au Pakistan. Pour les Chinois, construire en Angleterre, c’était l’opportunité de montrer au monde entier que leur nouveau nucléaire était fiable et compétitif afin de l’exporter à grande échelle.
Mais dans un contexte de guerre économique féroce, ce projet était très mal vu des États-Unis, qui comptent aussi exporter leur nucléaire partout dans le monde. En 2019, le département américain du Commerce a ainsi placé CGN sur sa liste des entreprises à bannir.
Et récemment, leurs alliés britanniques leur ont emboîté le pas. En juillet, des sources gouvernementales qualifiaient dans le Guardian le projet Bradwell de « politiquement désagréable » pour le Royaume-Uni, estimant qu’il n’était « plus tenable ». Et le FT de confirmer le 29 septembre que l’exécutif britannique « devrait désormais bloquer les projets de CGN de construire une centrale nucléaire à Bradwell ». Ce projet est en fait l’épicentre des tensions autour de la présence de l’opérateur chinois au Royaume-Uni, sur fond de guerre économique entre Washington et Pékin. La France étant ici la victime collatérale.
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Par Mathias Thépot , publié le 6 octobre 2021 à 16h58
Photo en titre ; Le financement du projet d’EDF à Sizewell est remis en cause. Rob Francis / Robert Harding Heritage / robertharding via AFP
https://www.marianne.net/economie/economie-europeenne/nucleaire-britannique-la-france-a-nouveau-cocue-apres-les-sous-marins-australiens
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