À l’Assemblée générale des actionnaires, le PDG Jean-Bernard Lévy s’est voulu optimiste pour l’avenir malgré une année 2022 qui s’annonce catastrophique. Mais pour faire face au défi de la construction de six nouveaux EPR, le groupe va avoir grand besoin du soutien financier de l’État…avec qui il est en conflit sur les tarifs de revente de son électricité nucléaire.
Ce jeudi 12 mai, devant un parterre de petits actionnaires réunis salle Pleyel à Paris pour l’assemblée générale annuelle d’EDF, Jean-Bernard Lévy aura tout fait pour donner l’image d’un patron serein, posé et résolu «face aux nouveaux défis lancés par la crise climatique et le souci d’indépendance énergétique» : «EDF est maintenant bien placé pour répondre à ces nouveaux besoins que la guerre en Ukraine accélère, l’électricité est à la fois la solution contre le changement climatique et source de progrès, nous allons donc jouer un rôle essentiel dans les décennies qui viennent», a lancé tout sourire le PDG de l’électricien.
Le groupe a certes connu une année 2021 «marquée par des réussites opérationnelles», note son patron : de fait, il a dégagé l’an dernier plus de 5 milliards de bénéfices, sur un chiffre d’affaires en forte hausse (+22 %) à 84,4 milliards d’euros sur fond de reprise post-Covid et de flambée des prix de l’énergie profitable à EDF. Mais 2022 sera tout autre : catastrophique sur le plan financier entre nouveau retard de l’EPR de Flamanville, baisse de la production nucléaire liée à la découverte de graves problèmes de corrosion sur les réacteurs actuels, et mise à contribution de l’électricien par l’État pour limiter la flambée des factures des abonnés à 4 %. C’est bien simple, entre ces différentes avanies, EDF va perdre 26 milliards d’euros de recettes sur son excédent d’exploitation (EBITDA) cette année, alors que ce dernier atteignait au total 18 milliards en 2021 ! En clair cela veut dire que la capacité du géant de l’électricité à générer du cash-flow, de l’argent frais, sera réduite à zéro.
«Recours gracieux»
Cela tombe on ne peut plus mal, car EDF doit faire face à un mur d’investissement sans précédent, pour ne pas dire une falaise infranchissable. La commande de six nouveaux réacteurs EPR pour une mise en service à l’horizon 2035-2040 annoncée en début d’année par Emmanuel Macron depuis Belfort est «une décision historique» qui sonne le retour des jours heureux du nucléaire a souligné Jean-Bernard Lévy, en confirmant que les deux premières tranches de l’EPR2 seront construites sur la centrale de Penly (Seine-Maritime). Mais nul n’ignore que ce «chantier du siècle» nécessitera au bas mot un investissement de 50 milliards d’euros. Si tout se passe bien. EDF doit aussi financer le «grand carénage» pour prolonger la durée de vie de ses 56 réacteurs actuels vieillissants, soit encore 33 milliards d’euros à trouver sur la période 2022-2028 «hors conséquence du dossier corrosion», a pris soin de préciser le groupe. Ce qui est de mauvais augure. Il y a aussi le dérapage de la construction du premier EPR sur la centrale de Flamanville (Manche) qui devrait entrer en service en 2024, après un premier chargement du combustible fin 2023, autrement dit avec douze ans de retard et des coûts de construction qui auront été multipliés par cinq à près de 20 milliards… Or EDF traîne toujours comme un boulet une dette de 43 milliards d’euros. Au total, les besoins de financement atteignent 200 milliards pour les deux décennies à venir. Vertigineux.
Alors face aux questions des petits actionnaires inquiets, Jean-Bernard Lévy a reconnu bien volontiers «les difficultés opérationnelles» dont souffrent le groupe et le cours de bourse d’EDF (-31 % sur dix ans) dans «un contexte difficile». Tout en faisant miroiter un retour à meilleure fortune grâce à un plan d’actions, promettant notamment pour 3 milliards d’euros de cessions d’ici 2024. Mais dans l’immédiat, l’État a surtout dû voler au secours de l’électricien pour assurer ses fins de mois et un besoin de financement immédiat de 5 à 6 milliards d’euros en souscrivant à une augmentation de capital de 3,1 milliards. Ce que Lévy a présenté comme une «excellente nouvelle», car il en faut. Se disant «garant de la défense des intérêts d’EDF», le grand patron qui a été reconduit en 2019 par Macron et dont le deuxième mandat court jusqu’en 2024, a annoncé pour la forme avoir, suite aux mesures annoncées par le gouvernement pour limiter la hausse des prix de l’électricité, «déposé un recours gracieux contre la décision contraignant EDF à céder davantage d’électricité nucléaire à bas prix à ses concurrents». Mais ce dernier a peu de chances d’aboutir quand on sait que l’État est actionnaire à près de 84 % de l’entreprise. Alors Jean-Bernard Lévy renvoie précisément à l’État la responsabilité d’assurer par tous les moyens l’avenir de son grand électricien : «EDF a besoin de réformes structurelles pour donner pleinement et durablement au groupe les moyens de ses ambitions», a-t-il martelé.
Prêt de 800 millions d’euros
Un message adressé au chef de l’État, qui offre à EDF six nouveaux EPR, voire huit de plus à l’étude, mais demande aussi un doublement des capacités de production éoliennes et solaires pour assurer l’indépendance énergétique du pays et viser l’objectif zéro émissions en 2050. De fait avec sa réélection, Emmanuel Macron pourrait bien relancer le chantier compliqué du découpage d’EDF connu sous le nom d’«Hercule» gelé depuis l’été dernier : il s’agirait de nationaliser à 100 % le nucléaire pour mettre en bourse les actifs les plus rentables et les plus prometteurs comme le réseau de distribution Enedis et les énergies renouvelables. Une nouvelle version du «nationaliser les pertes pour mieux privatiser les profits» qui hérisse les puissants syndicats d’EDF et la gauche désormais unie. Mais avec la guerre en Ukraine qui a mis les projecteurs sur l’indépendance et la souveraineté énergétique, Macron lui-même hésite désormais à mettre en œuvre ce scénario de banquier d’affaires : il semble prioriser désormais le sauvetage financier de l’électricien par l’État via la Caisse des dépôts voire un grand emprunt, en misant sur le retour d’investissement futur du nouveau programme nucléaire. On en saura plus après les législatives, EDF figurant parmi ses grands dossiers prioritaires.
En attendant les milliards de l’État, EDF a déjà trouvé une banque généreuse pour financer ses grands projets dans la mobilité électrique : ce jeudi, la Banque européenne d’investissement (BEI) lui a accordé un prêt de 800 millions d’euros sur dix ans pour aider Enedis à déployer 11 465 km de nouvelles lignes de distribution et installer 73 000 bornes de recharge publiques pour voitures électriques en plus de ses 50 000 existantes. Un projet chiffré au total à 1,6 milliard d’euros. Le vice-président de la BEI, Ambroise Fayolle, s’est félicité «de contribuer ainsi à l’électrification des usages au cœur de la stratégie bas carbone promue par le Pacte vert européen». Vu le tableau financier d’EDF, ce ne sera sûrement pas le dernier prêt consenti par la banque européenne «partenaire historique d’EDF».
Par Jean-Christophe Féraud, publié le 12 mai 2022 à 15h45, mis à jour à 18h15
Photo en titre : Jean-Bernard Levy, PDG d’EDF, en février 2022. (Gonzalo Fuentes/REUTERS)
https://www.liberation.fr/economie/edf-tente-de-rassurer-ses-actionnaires-face-au-mur-financier-du-nouveau-nucleaire-20220512_JF4XCX4YPFGF7M5PGOR4DE3YZU/
NDLR : vu que l’État, c’est vous et moi (à 84%), relisez ce texte en remplaçant le mot État par moi. Vous percevrez probablement mieux l’hérésie financière du programme nucléaire de Macron (et ses soutiens), à moins que vous soyez disposé à mettre sérieusement la main à la poche pour construire (à nouveau !) un système de production électrique hyper centralisé donc destructible en quelques minutes avec 20 bombinettes bien ciblées.
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