ÉLISABETH BORNE ÉVACUE EN DIX MINUTES LA QUESTION ÉCOLOGIQUE

Renationaliser EDF à 100 %, investir dans le nucléaire… Lors du discours de politique générale d’Élisabeth Borne devant l’Assemblée nationale, la Première ministre a présenté un projet pour l’écologie basé sur la croissance et le progrès.

« L’heure n’est pas à nous compter, mais à nous parler. La confiance ne se décrète pas, a priori, elle se construit. » Ce mercredi 6 juillet, dans la ferveur d’une Assemblée nationale morcelée, la Première ministre Élisabeth Borne a présenté son discours de politique générale. D’ordinaire périlleux, ce baptême du feu était cette fois-ci sans risque. Et pour cause, à l’issue de sa déclaration, la locataire de l’hôtel Matignon a fait le choix de ne pas solliciter le vote de confiance des députés fraîchement élus. Ce grand oral a néanmoins dessiné l’esquisse du projet politique de la cheffe de l’exécutif, dans lequel écologie rime avec progrès.

Avant même que ne commencent les hostilités, le Palais Bourbon était en ébullition. Les journalistes se disputaient les meilleures places du balcon, tandis qu’une excitation aux airs de rentrée des classes gagnait les députés novices. Entourée par son nouveau gouvernement, imperturbable, Élisabeth Borne a feuilleté une dernière fois son discours dans le brouhaha général, lorsque la présidente de l’Assemblée est entrée. « La séance est ouverte. La parole est à madame la Première ministre. » À 15 heures tapantes, la femme à la veste rose a grimpé les huit marches en marbre pour rejoindre la tribune, sous les applaudissements nourris de la majorité restreinte.

« Je l’affirme, je ne crois pas un instant que cette révolution climatique passe par la décroissance. » Une fois terminé le premier chapitre de son discours, dédié au pouvoir d’achat, la Première ministre a ouvert celui de la transition écologique. Elle y a accordé dix minutes, sur son heure et demie d’intervention.

Pour parvenir à remplir l’objectif de neutralité carbone d’ici 2050, que s’est donnée l’Europe, Élisabeth Borne entend livrer à chaque ministre une feuille de route soucieuse de l’environnement : « Dès le mois de septembre, nous lancerons une vaste concertation en vue d’une loi d’orientation énergie climat », a-t-elle plaidé du haut de l’estrade. Une promesse qui renvoie au souvenir de la Convention citoyenne pour le climat, initiée par Emmanuel Macron à l’aube de son premier quinquennat, dont il a finalement abandonné la quasi-totalité des propositions.

Renationaliser EDF et investir dans le nucléaire

« Nous voulons être et nous serons la première grande nation écologique à sortir des énergies fossiles. » Pour mettre fin au carbone, la cheffe de l’exécutif a promis un mix énergétique, dans lequel le nucléaire jouit d’une place prédominante : « Nous y investirons avec la construction de nouveaux réacteurs et des innovations pour le nucléaire du futur, a insisté la technocrate. La transition énergétique passe par là, et je sais que c’est une conviction largement partagée sur ces bancs. »

Des propos applaudis par Fabien Roussel : « Ça va dans le bon sens que l’État investisse dans le nucléaire. Moi, j’applaudis ce qui va dans le bon sens », justifie à Reporterre Fabien Roussel, en rupture avec la Nupes [1].

« C’est l’État, les contribuables, qui vont payer les difficultés d’EDF »

Députée La France insoumise (LFI) de la 5e circonscription de Seine-Saint-Denis, Raquel Garrido dénonce au contraire ce plaidoyer pour le nucléaire : « C’est devenu la solution à tout. Aujourd’hui, militer pour le développement des centrales devient la preuve qu’on essaie de répondre aux objectifs de l’Accord de Paris. Or, c’est faux ! Et puis comment peut-elle parler d’énergie souveraine quand l’uranium vient du Kazakhstan et du Sahel ? »

« L’urgence climatique impose des dispositions fortes, radicales », a ensuite assuré la cheffe de l’exécutif. Parmi elles, est ressortie la volonté de renationaliser à 100 % le fournisseur d’électricité EDF, sans mentionner de délai. À la sortie du Palais, le député de la Somme François Ruffin semblait sceptique : « Peut-être est-ce une étape nécessaire, mais pour quoi faire ? Aujourd’hui, on privatise quand il y a des profits à faire et on nationalise quand ça ne va plus pour l’entreprise, a-t-il regretté. Traduction, c’est l’État, les contribuables, qui vont payer les difficultés d’EDF alors que les profits ont été engrangés par les actionnaires privés. »

La protection de la biodiversité éclipsée

Au bout d’une demi-heure, Élisabeth Borne a ouvert le dossier des transports : « Le ferroviaire est et restera la colonne vertébrale d’une mobilité propre. Nous continuerons les investissements de ces dernières années pour les petites lignes. Je veux ici rendre hommage à Jean Castex, infatigable voix des territoires… » « Vous l’avez bousillé le ferroviaire », l’a coupée Alexis Corbière, de La France insoumise.

Par moments, les contestations ont été telles qu’elles ont presque couvert la voix soporifique d’Élisabeth Borne. Semblant déstabilisée, celle-ci a jeté un regard à la présidente de la Chambre basse, qui a empoigné son micro pour appeler les groupes d’opposition au silence.

« Partout, des solutions alternatives à l’usage individuel de la voiture thermique devront être construites. Nous souhaitons permettre aux Français d’avoir accès à une voiture zéro émission. » Pour y parvenir, le cheffe du gouvernement a prévu de prolonger les aides à la conversion et d’établir un système de location de longue durée, à moins de 100 euros par mois. « C’est un projet écologique et une ambition industrielle, car nous construirons ces voitures électriques en France. »

« Ce mercredi 6 juillet est une date à marquer d’une pierre noire pour la démocratie »

« On est clairement dans un modèle extractiviste, a déploré à la sortie de l’hémicycle Sandrine Rousseau, députée Europe Écologie-Les Verts (EELV). Elle n’a pas du tout saisi l’importance de sortir de notre modèle de consommation de masse. Ce n’est pas possible de continuer comme ça. Le Giec [2] l’a dit : on a cinq ans pour agir, maximum. »

La page des énergies tournée, la locataire de l’hôtel Matignon n’a accordé qu’une courte minute à la protection de la nature et de la biodiversité : « Nous accentuerons notre politique de préservation des espaces naturels. Forêts, montagnes, littoraux, océans… » Pas plus, pas moins. Élisabeth Borne a poursuivi la présentation de sa feuille de route, à commencer par les retraites et la sécurité.

Une motion de défiance

« Devant chaque projet, nous devrons nous poser une question. Voulons-nous bloquer ou avancer ? » Le mot de la fin, après une heure et demie de discours, a été celui du dépassement, auquel la successeuse de Jean Castex dit croire fermement. « Bâtir ensemble, nous y parviendrons. » Acclamée par sa courte majorité, elle est descendue de l’estrade, sourire aux lèvres, et a rejoint le banc des ministres.

A-t-elle convaincu au-delà de son camp ? La réponse ne s’est pas fait attendre. « Le président a été élu sans mandat, et voici venue sa Première ministre sans confiance. Ce mercredi 6 juillet est une date à marquer d’une pierre noire pour la démocratie », a réagi Mathilde Panot, présidente du groupe LFI, invitée à son tour à prendre la parole devant l’hémicycle de rouge et d’or. « Pourquoi nous ferions-vous confiance à vous, qui découvrez les profiteurs de guerre mais ne faites rien quand Total engrange 16 milliards de bénéfice. Vous, à nouveau épinglé par le Haut Conseil pour le climat pour votre inaction climatique. Vous, qui ne faites confiance qu’aux riches et aux grands pollueurs. »

Même son de cloche du côté des écologistes, représentés à la tribune par Julien Bayou, le secrétaire national d’EELV, resté de marbre tout au long du discours d’Élisabeth Borne : « Vous n’avez rien fait au point d’être doublement condamné pour inaction climatique et de plonger notre jeunesse dans une angoisse existentielle. » Il a insisté enfin sur la défiance qui l’a gagné à la nomination de Christophe Béchu, à la tête du ministère de la Transition écologique. « On le connaît plus pour ses positions réactionnaires, son opposition au mariage pour tous, plutôt que pour le combat contre le dérèglement climatique. »

Plus tôt dans la journée, les députés insoumis, écologistes, socialistes et communistes avaient déposé une motion de censure commune à l’égard du gouvernement. Le Rassemblement national et Les Républicains ayant annoncé qu’ils ne joindraient pas leurs suffrages à ceux de la Nupes, celle-ci a peu de chance d’aboutir à la chute du second gouvernement d’Élisabeth Borne. Le vote aura lieu au plus tôt vendredi 8 juillet.

Notes

[1] Nouvelle union populaire écologique et sociale.

[2] Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

Par Emmanuel Clévenot, publié le 7 juillet 2022 à 10h09

Photo en titre : Discours de politique générale d’Élisabeth Borne devant l’Assemblée nationale, mercredi 6 juillet 2022. – © AFP/Bertrand Guay

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