Les paris mis en avant pour faire pivoter le système énergétique français vers la neutralité carbone en 2050 pourraient ne pas résister à un contexte économique mondial tumultueux et à un approvisionnement en matériaux plus difficile à assurer. De quoi remettre en question les scénarios prospectifs de RTE sur lesquels s’appuie le gouvernement, et pousser le gestionnaire du réseau de transport d’électricité à préparer des analyses complémentaires.
Alors même que l’Hexagone accuse déjà du retard sur ses objectifs de décarbonation, l’avenir sera peut-être encore plus difficile à piloter. Et pour cause, entre la flambée des prix de l’énergie, les tensions majeures sur l’approvisionnement et les craintes d’une récession mondiale, la situation internationale actuelle noircit toutes les prévisions. Et esquisse un possible futur bien plus volatil et moins généreux sur le plan des ressources que le monde imaginé jusqu’ici.
Y compris dans les scénarios prospectifs sur lesquels s’appuie le gouvernement français pour justifier ses choix en matière de transition énergétique. En octobre 2021, bien avant la guerre en Ukraine, le gestionnaire du réseau national de transport d’électricité RTE avait en effet publié une vaste étude intitulée « Futurs Énergétiques 2050 », qui dégageait six voies possibles pour atteindre la neutralité carbone d’ici à 2050. Celle-ci fait désormais référence au sein de l’exécutif. Seulement voilà : la nouvelle configuration géopolitique pourrait bien remettre en cause ses conclusions, et par-là même les décisions politiques qui s’appuient sur celles-ci.
Les scénarios de référence retiennent des critères favorables
De fait, l’étude, qui affirme que le coût complet du système électrique devrait passer de 45 milliards d’euros par an à 60 à 80 milliards d’ici à la moitié du siècle, retient des paramètres aujourd’hui incertains. En effet, son cadrage se fonde sur un « contexte mondial relativement favorable », avec des hypothèses de croissance continue de l’économie (+1,4% par an entre 2021 et 2050) et une « absence de tensions particulières sur les approvisionnements en matières et composants nécessaires au développement de nouvelles infrastructures énergétiques », peut-on lire dans l’épais rapport.
Or, ces derniers mois, les perspectives de la Banque mondiale se sont assombries, les cours des hydrocarbures ont bondi (entraînant dans leur sillage celui de l’électricité), et les coûts de production des énergies renouvelables sont repartis à la hausse, après des années de baisse continue. Autant d’imprévus qui ont pris de court les gouvernements du monde entier, y compris en France, où la majorité a changé de braquet : de sa stigmatisation en 2020 des « Amish » et « Khmers verts » prônant un retour à la « lampe à huile », Emmanuel Macron a appelé l’ensemble des Français à la « sobriété énergétique » dans son entretien du 14 juillet.
La tendance baissière du prix des renouvelables s’inverse
Dans ces conditions, l’éventuelle persistance ou aggravation de ces tensions pourraient remettre en cause les conditions de financement pour assurer la transition énergétique, la disponibilité des matières premières et l’importation de certains composants à bas coûts considérées dans le cadre de « Futurs Énergétiques 2050 ».
« Il est nécessaire de s’interroger de sa robustesse vis-à-vis de ce contexte global plus adverse, qui ne peut pas être exclu vu d’aujourd’hui », notait RTE début 2022.
Et pour cause, un tel contexte macroéconomique « peut changer les coûts complets annualisés [par rapport à l’étude de référence, ndlr], en fonction de l’évolution des prix des pylônes, des câbles ou des raccordements », explique une source en interne. Autrement dit, en fonction de l’amplitude de l’effet des hausses de prix des combustibles et matières premières, les projections de coûts des technologies pourraient s’éloigner de la fourchette initialement considérée.
De fait, au niveau mondial, « des batteries aux panneaux solaires et aux éoliennes, les tendances rapides de réduction des coûts observées au cours de la dernière décennie se sont pour la plupart inversées en 2021, avec des prix des éoliennes en hausse de 9% », soulignait l’Agence internationale de l’énergie (AIE) le 18 mai dans une note intitulée « Les minéraux critiques menacent une tendance de plusieurs décennies à la baisse des coûts des technologies énergétiques propres ». Récemment, les développeurs de champs éoliens ou solaires ont d’ailleurs alerté sur cette hausse, affirmant subir des tarifs d’achat d’électricité fixes désormais beaucoup trop éloignés de leurs coûts de production réels.
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RTE prépare un scénario alternatif
Pour mieux comprendre les implications, le gestionnaire du réseau prépare ainsi une variante à son étude, appelée « Mondialisation contrariée ». Celle-ci ne devrait voir le jour que d’ici à 2023, mais RTE envisage d’ores et déjà deux types d’issues en cas de situation mondiale dégradée. D’abord, la transition énergétique pourrait rester possible « au prix de répercussions négatives » sur le « pouvoir d’achat des ménages, avec une baisse des consommations d’énergie sous la contrainte » et « possiblement de sécurité d’approvisionnement électrique », explique le gestionnaire.
Mais l’alternative, selon RTE, sonne comme un aveu d’échec : « l’atteinte même des objectifs climatiques [serait] à interroger ». Et pour cause, alors que des difficultés de financement et d’approvisionnement « pourraient mener à des rythmes de déploiement des énergies renouvelables ou du nucléaire insuffisants », le recours à des moyens de production carbonés « pourrait être nécessaire, à défaut d’accepter une dégradation de la sécurité d’approvisionnement électrique », prévenait l’entreprise en début d’année. Une éventualité qui résonne en écho avec la situation actuelle, puisque le gouvernement à récemment légiféré pour pouvoir rouvrir une centrale à charbon et réquisitionner les centrales à gaz en cas de besoin cet hiver.
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Par Marine Godelier, publié le 15 juillet 2022 à 18h33
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