Ce texte est une tribune signée Emmylou Roszak, senior partner et associée, directrice de l’offre d’expertise « Énergies » chez mc2i, et Adrien Bonami, Consultant en transformation numérique chez mc2i.
La production d’électricité en Europe est réalisée pour près d’un tiers par les centrales nucléaires et hydrauliques. Ces centrales ont besoin pour fonctionner, de volumes importants d’eau. Or, les chaleurs de l’été 2022 ont mis en avant certaines vulnérabilités de notre système de production électrique.
La synergie entre l’environnement et les installations énergétiques
Le mix énergétique européen est constitué à 24,8% de nucléaire et à 12,7% d’hydraulique. Nous avons donc 37,5% de capacité de production électrique qui sont dépendants d’un approvisionnement constant en eau pour fonctionner. Pourquoi ces moyens de production sont-ils dépendants de ressources aqueuses ?
Afin de mieux comprendre la dépendance du nucléaire à l’eau, penchons-nous sur le poste de consommation d’eau le plus important d’une centrale nucléaire : le refroidissement. Le refroidissement peut se faire selon deux modalités différentes : en circuit fermé ou en circuit ouvert.
Ce qui distingue les deux est que dans le premier toute l’eau ne sera pas restituée dans le milieu où elle a été prélevée : en effet, en circuit fermé, une partie des rejets de vapeur d’eau se fait via des tours aéro-réfrigérantes. Ce type de refroidissement est plutôt commun à proximité de rivières dont le débit est faible. Un refroidissement en circuit ouvert implique des contraintes plus grandes en termes de température des rejets (car volume plus important).
D’un autre côté, les centrales hydrauliques sont directement liées au niveau d’eau présent en amont de la retenue pour fonctionner et produire de l’électricité.
Réchauffement climatique : quel impact sur l’eau ?
Le réchauffement climatique a un impact marqué sur la disponibilité de nos ressources en eau ; sont à risque les débits de nos rivières, le niveau de nos nappes phréatiques, de nos lacs et pareillement le niveau des retenues d’eau pour les centrales hydrauliques.
Une notion cruciale pour les centrales (en circuit ouvert de surcroît) est l’étiage; l’étiage désigne le niveau le plus bas d’un cours d’eau. Or le niveau d’étiage en France, par exemple, a tendance en moyenne depuis quelques années à diminuer. Que se passe-t-il pour la production hydraulique et nucléaire en situation de stress hydrique?
Une situation de stress hydrique désigne une tension particulièrement accrue par rapport à la normale sur l’eau. Cela signifie une situation d’étiage critique voire d’assec pour les cours d’eau et un niveau extrêmement bas des retenues d’eau ou des nappes phréatiques.
Or, en Europe le réchauffement climatique avance plus vite qu’ailleurs dans le monde, et les situations de stress hydrique sont logiquement en hausse.
Cela a pour effet de perturber de façon ponctuelle la productivité des centrales nucléaires et hydrauliques. Par exemple, en 2021, la Norvège qui se repose habituellement sur des stocks d’eau conséquents pour alimenter ses centrales hydrauliques, a dû redémarrer une centrale au fioul pour maintenir sa production électrique.
En France, par exemple, la centrale de Saint-Alban a pu être impactée durant l’été 2022 : le réacteur n°1 a dû réduire sa puissance de production en accord avec les normes de l’ASN (Autorité de Sûreté Nucléaire) pour respecter la réglementation concernant les rejets thermiques. Ceci est dû à une baisse du débit du Rhône.
Pourquoi cela ? Car les rejets en eau des centrales nucléaires sont à une température supérieure à celle des prélèvements. Or, au-delà d’un certain écart de température (ici une température supérieure), l’impact sur la biodiversité en aval est significatif, raison pour laquelle l’ASN a fixé des normes conditionnant les températures de rejets.
Ces incidents dans leur globalité ne représentent qu’une perte minime de la production globale sur l’année, cependant ce qui compte est le respect de l’équilibre offre-demande si particulier au marché de l’électricité.
À cela s’ajoute la nature de la cause de ces incidents, i.e. la chaleur ou l’absence de précipitations. Or, ces incidents ont tendance à se concentrer sur une plage de temps relativement restreinte (canicule par exemple). C’est justement ce qui pourrait déstabiliser l’équilibre offre-demande. En effet, si plusieurs de ces incidents venaient à se produire en même temps, dans un contexte de forte sécheresse par exemple, alors les enjeux seraient importants.
Contexte de fonctionnement du mix européen et impact du réchauffement climatique
Le marché électrique européen fonctionne grâce à l’interconnexion croissante entre les pays. Lorsque la capacité à produire de l’un baisse, il achète de l’électricité à ses voisins. Le réchauffement climatique et l’indisponibilité ponctuelle induite de certains moyens de production provoquent l’appel d’autres moyens pour satisfaire la demande d’électricité. Et lorsque les capacités de production intermittentes ne suffisent pas, il faut se tourner vers le pilotable notamment les centrales au gaz, charbon ou fioul.
Cela a pour conséquence d’alourdir les émissions carbones du mix électrique européen. C’est par ailleurs un phénomène qui risque d’être plus fréquent dans le futur. Au vu de la trajectoire climatique en Europe, la production électrique dans sa configuration actuelle sera nécessairement de plus en plus contrainte par la disponibilité des ressources en eau.
L’accroissement de ce type d’incident serait d’autant plus souligné par l’accroissement de la consommation d’électricité : les scénarios énergétiques pour le futur anticipent une électrification croissante des besoins. Cela signifie une pression à la hausse sur les moyens de production. D’autre part, des chaleurs plus élevées peuvent avoir des effets de bords comme : l’augmentation d’énergie pour maintenir la chaîne du froid, la hausse d’installation de climatiseurs…
Pour conclure, le réchauffement climatique souligne notre besoin de développer davantage notre production d’électricité à l’échelle de l’Europe, mais également de diversifier les moyens de production. Pour éviter de nous reposer sur des moyens de production carbonés en cas d’aléas climatiques, la piste des énergies renouvelables devrait être privilégiée, d’autant plus en été où le climat est favorable au solaire par exemple.
Par Emmylou Roszak, publié le 06.02.2023
https://www.lemondedelenergie.com/incidence-rechauffement-climatique-sur-mix-energetique-europeen/2023/02/06/
NDLR: cette évidence démontre parfaitement l’impasse vers laquelle se dirige tout système de production d’électricité par procédé thermique (nucléaire, fuel, charbon, bois…)
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