UE: COMMENT VA-T-ON RECONNAÎTRE DE L’HYDROGÈNE VERT ?

ANALYSE. La publication en février d’un projet de directive de la Commission européenne sur la production d’hydrogène renouvelable « vert » soulève un certain nombre de questions, d’autant plus depuis que la production d’hydrogène à bas carbone à partir de nucléaire est inscrite dans la directive sur les énergies renouvelables.

La France vient d’obtenir d’inscrire l’hydrogène à bas carbone, produit à partir de nucléaire, dans la directive sur les énergies renouvelables (même si l’hydrogène produit à partir du nucléaire ne sera pas considéré comme hydrogène renouvelable). Or, justement, la Commission européenne a publié en février son projet de directive sur la production d’hydrogène renouvelable « vert ». Sous quelle condition l’hydrogène doit-elle être produite pour être qualifiée de vert? Ce projet va donc faire l’objet de toutes les attentions, à n’en pas douter.

De l’hydrogène vert devra avoir été produit à l’aide d’électricité renouvelable additionnelle pour éviter que l’électricité renouvelable qui alimente actuellement les ménages et les entreprises soit détournée de cet usage.

La directive s’applique également à l’hydrogène produit en dehors de l’UE. Dans ce cas, il faudra que le pays tiers (et le producteur qui s’y trouve) puisse faire état de principes similaires.

Revue des critères

Passons en revue les critères de production « verte ». Le cas le plus simple (mais le moins pratique) est une unité de production d’électricité à base d’énergie renouvelable connectée par une ligne directe à l’électrolyseur. Le législateur européen prend en compte les délais insoutenables pour installer une production d’électricité renouvelable afin qu’elle soit qualifiée d’additionnelle. La directive prévoit jusqu’à 36 mois d’écart entre une mise en route de l’électrolyseur et l’entrée en service d’une unité de production d’électricité renouvelable dans ce but. Ce délai vaut aussi pour l’extension d’une capacité déjà existante de production d’électricité renouvelable. La directive reste muette sur ce qu’on fait pendant ces 36 mois. Mais il faudra bien alimenter l’électrolyseur avec le mix électrique localement disponible !

Si l’électrolyseur et l’unité de production d’électricité renouvelable n’ont pas qu’une ligne directe (l’unité de production est aussi connectée au réseau), il faudra prouver que la ligne directe entre les deux est bel et bien celle qui est utilisée pour la production d’hydrogène renouvelable. Que l’électricité de l’un fasse un aller-retour sur le réseau pour revenir à l’électrolyseur ne sera pas accepté, faute sans doute de garantie sur son origine.

Dans les zones de dépôt d’offre où l’électricité renouvelable est dominante, le taux d’utilisation de l’installation de production d’hydrogène ne doit pas dépasser la proportion de renouvelable dans le mix électrique mais sans contrainte de simultanéité. En clair, il est possible de produire de l’hydrogène renouvelable une nuit sans vent pourvu que l’on respecte la contrainte du taux d’utilisation….

Les zones (dites de dépôt d’offres) dans lesquelles la capacité de production d’électricité renouvelable atteint 90 % seront considérées comme totalement renouvelables. Avec un tel pourcentage, la production d’hydrogène va forcément absorber le surplus d’électricité renouvelable qui sera de toute façon généré.

Soutien discret au nucléaire ?

Il y a plus subtil : si dans une zone de dépôt d’offres, la production de CO2 que génère la production d’électricité est inférieure au seuil de 18 gCO2eq/MJ, on peut aussi considérer que l’électricité prélevée est d’origine renouvelable. Même si la commission s’en défend, n’est-ce pas là un discret soutien à l’hydrogène produit à partir d’électricité nucléaire ?

Si la production d’hydrogène permet d’éviter un redispatching de l’électricité renouvelable produit dans la zone en question, cet hydrogène sera aussi considéré comme renouvelable

Corrélation temporelle et géographique

Si on n’est pas dans ces conditions assez restrictives, il y a encore la corrélation temporelle et géographique, un moyen d’encourager l’installation de plus d’électricité renouvelable. Quand il y a de l’électricité renouvelable à un endroit et à un moment donné, si on est capable de prouver qu’elle a été utilisée pour la production d’hydrogène, même ponctuellement, cet hydrogène pourra encore être qualifié de renouvelable.

Les « power purchase agreements » (contrats bilatéraux long terme) d’électricité renouvelable deviennent de l’électricité renouvelable au sens de la directive. Encore faudra-t-il s’assurer de l’équivalence entre le niveau de production théorique prévus dans ces contrats et le niveau effectif des unités renouvelables en question !

L’intermittence

Il faut prendre en considération le caractère intermittent du renouvelable : comme la technologie, les marchés et l’infrastructure ne permettent pas de faire correspondre heure par heure la production d’hydrogène renouvelable et l’électricité renouvelable, il suffira de prouver une correspondance en volume entre heures de production d’hydrogène et heures de production d’électricité renouvelable par mois calendrier. Le respect du principe de simultanéité s’est donc légèrement allégé : dans la version de travail précédente qui avait fuité, il ne s’agissait pas d’un mois calendrier mais d’un trimestre. Enfin, si le prix de gros de l’électricité est à un niveau tel qu’elle ne pouvait pas provenir d’énergie fossile, alors on pourra considérer que l’électricité utilisée a été renouvelable (autre coup de pouce à l’électricité d’origine nucléaire ?)

Il ne peut y avoir de congestion entre l’électrolyseur et la source d’électricité renouvelable. Comme les zones de dépôt d’offres sont supposées sans congestion, il n’y a à priori pas de problème. Par contre si l’électrolyseur et la production d’électricité renouvelable sont situés dans des zones de dépôt d’offres différentes, il faut que les prix de l’électricité soient supérieurs là où se trouve l’électrolyseur par rapport à la zone où l’électricité est produite. Les États membres ont la liberté de mettre en place des règles plus strictes pour tenir compte de spécificités locales.

Enfin si l’hydrogène est produit dans des États tiers, des certifications volontaires reconnues par la Commission pourront attester que les mêmes règles « renouvelables » ont été suivies pour le produire.

Cette directive est un acte délégué : le parlement et le Conseil Européen peuvent formuler des commentaires mais n’ont pas la possibilité d’amender la directive.

Tout ceci est tout de même fort compliqué : les USA n’ont qu’un seul critère pour qualifier l’hydrogène de vert : son niveau de CO2. On reconnait là leur caractère pragmatique.

Pour en savoir plus : COMMISSION DELEGATED REGULATION (EU) of 10.2.2023 supplementing Directive (EU) 2018/2001 of the European Parliament and of the Council by establishing a Union methodology setting out detailed rules for the production of renewable liquid and gaseous transport fuels of non-biological origin

Par Charles Cuvelliez et Patrick Claessens, École Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles publié le 31 mars 2023 à 17h53

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