LA RELANCE DU NUCLÉAIRE COMMENCE PAR UN COUAC DANS LE DÉBAT PUBLIC

Il y a un an, Emmanuel Macron fixait le nouveau cap de sa politique nucléaire. Depuis début 2023, l’accélération est nette, au détriment du temps de consultation des Français. La Commission nationale du débat public elle-même s’en offusque.

« Je souhaite que six EPR2 soient construits et que nous lancions les études sur la construction de huit EPR2 additionnels. » 10 février 2022, à deux mois de l’élection présidentielle. Emmanuel Macron s’exprime non comme candidat, mais en chef de l’État, à l’usine General Electric de Belfort, en revirement complet par rapport à son credo précédent, fermeture de Fessenheim à l’appui.

Carte des réacteurs nucléaires en France. | OUEST-FRANCE

Virage pris sans véritable débat démocratique sur une question qui engage pour des générations, grosse facture à la clé : 51,7 milliards d’euros pour six réacteurs. Il y a bien eu une consultation nationale généraliste sur le mix énergétique entre mi-octobre et fin décembre 2022 (plus de 33 000 contributions), mais « il y a une exception démocratique autour du nucléaire, dénonce Yves Marignac, expert nucléaire et porte-parole de NégaWatt. Il fait l’objet de lois, de règles et d’institutions à part, avec la création récente d’une délégation interministérielle au nouveau nucléaire. »

Lire aussi. Nucléaire. « C’est parce qu’on a fait Flamanville 3 qu’on peut être optimiste sur l’EPR 2 »

En avant donc, et à marche forcée. Il suffit d’assister ces derniers temps aux réunions officielles en Normandie (où doit se construire à Penly, en Seine-Maritime, la première des trois paires d’EPR2) pour s’en convaincre : aucun conditionnel dans les discours des politiques ou des cadres EDF. Le parc nucléaire français va s’accroître, la certitude est partagée, renforcée par un rapport de la commission des affaires économiques du Sénat de juillet 2022, qui préconise même la construction de quatorze nouveaux EPR.

Quel débat parlementaire ?

« Le discours de Belfort du président de la République n’est ni suffisamment ambitieux ni suffisamment suivi d’effets », y écrit le sénateur (LR) Daniel Gremillet. Le Sénat et l’Assemblée nationale semblent acquis au programme de relance nucléaire. Ils viennent de voter en première lecture une « loi d’accélération », pour faire sauter les verrous qui pourraient freiner les chantiers à venir. Texte auquel le gouvernement a ajouté un amendement, qui supprime l’objectif de réduire à 50 % la part du nucléaire dans la production d’électricité d’ici à 2035. Ce qui révise, de fait, l’actuelle loi de programmation des énergies.

Signal supplémentaire, le 3 février, Emmanuel Macron réunit pour la première fois le Conseil de politique nucléaire (CPN), créé en 2008. L’opération finit de braquer la Commission nationale du débat public (CNDP), justement engagée dans le débat public autour de Penly. « Ces évolutions viennent toutes interroger la possibilité d’une participation réelle du public à l’élaboration des décisions : c’est le cœur même du débat public qui est en cause […]. Pourquoi débattre, alors que les décisions sont déjà perçues comme prises et que la machine est en route ? » interroge-t-elle dans un communiqué.

La CNDP a suspendu sa réunion publique du 7 février et va réorienter les modalités du débat prévu jusqu’au 27 autour de la question : « Comment donner sa juste place à la participation du public dans la gouvernance des projets nucléaires ? »

Peut-être comme en Allemagne, où Angela Merkel a mis en place une commission d’éthique sur le nucléaire et la politique énergétique, fondée sur une large assise de la société, dont le mandat consiste à « établir les bases d’une stratégie énergétique qui a le soutien de l’ensemble de la société et qui fournit des lignes directrices pour les décennies à venir ».

« Le programme EPR2 sera travaillé (l’été prochain) dans le cadre de la loi de programmation énergie climat puis décliné (pour les deux fois cinq années à venir) dans la programmation pluriannuelle de l’énergie », assure-t-on au cabinet d’Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique. En tout cas, sa trajectoire est déjà fixée

Par Ouest-France , Olivier CLERC et Liza MARIE-MAGDELEINE, publié le 13/02/2023 à 07h00

Photo en titre : Le programme de réacteurs d’un nouveau type, les EPR2, intervient alors que l’EPR de Flamanville n’est toujours pas en service et enregistre à ce jour 12 ans de retard ainsi qu’une facture d’au moins 19 milliards d’euros. | STEPHANE GEUFROI / OUEST FRANCE

Retrouvez cet article et le tableau résumant « Le nucléaire en France, plus d’un siècle d’histoire » sur le site : https://www.ouest-france.fr/economie/energie/electricite/la-relance-du-nucleaire-commence-par-un-couac-dans-le-debat-public-bc6ce210-a63f-11ed-acf1-1f171930b7f8