Après un discours bien reçu par les dirigeants venus assister à la conférence sur la sécurité à Munich, le président français a redit, dans une interview à trois médias français, qu’il fallait éviter d’écraser la Russie et privilégier une solution négociée.
Les dirigeants réunis à Munich en fin de semaine pour la conférence sur la sécurité ont perdu toute illusion sur une fin prochaine de la guerre qui oppose Kiev à Moscou depuis un an déjà. Et ils en tirent les conséquences. « L’heure n’est pas au dialogue parce que nous avons une Russie qui a choisi d’aller jusqu’au crime de guerre et à l’attaque des infrastructures civiles », a dénoncé à la tribune le président français, Emmanuel Macron. D’ici-là, « nous sommes prêts à intensifier notre soutien à l’Ukraine et nous sommes prêts à un conflit prolongé », a-t-il assuré.
Mais une fois de plus, Emmanuel Macron s’est démarqué dans une interview donnée dans l’avion du retour au « Journal du Dimanche », au « Figaro » et à France Inter, publiée samedi soir. Il y met en garde ceux qui veulent « avant tout écraser la Russie » et se dit favorable à une solution négociée.
La France risque un isolement stratégique
« Je veux la défaite de la Russie en Ukraine et je veux que l’Ukraine puisse défendre sa position, mais je suis convaincu qu’à la fin ça ne se conclura pas militairement », a dit le chef de l’État français. « Je ne pense pas, comme certains, qu’il faut défaire la Russie totalement, l’attaquer sur son sol », « Cela n’a jamais été la position de la France et cela ne le sera jamais », a-t-il ajouté.
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« Le président est convaincu que la Russie a une place en Europe et qu’il faudra discuter avec elle. Il perçoit l’agression comme un accident de parcours, qui ne remet pas en cause sa vision centrée sur la construction d’une architecture de sécurité européenne. Or, il ne voit pas que ses propos éloignent de lui ceux avec qui il veut faire l’Europe de la défense… » constate Michel Duclos, ancien ambassadeur et conseiller spécial à l’Institut Montaigne.
Ainsi, « il revient à l’idée précédemment évoquée de garanties de sécurité pour la Russie et à des propos antérieurs qui avaient choqué quand il avait déclaré ne pas vouloir l’humilier . Il y a là un risque de perte de crédibilité avec nos alliés et d’une mauvaise lecture de l’histoire. Cela contribue à l’isolement stratégique de la France alors qu’on pensait que cette guerre pouvait nous en sortir… », estime le diplomate.
À la veille d’importants mouvements militaires
Pour Thomas Gomart, le directeur de l’Institut français des relations internationales (Ifri), « le sujet principal n’est pas de savoir s’il faut écraser ou pas la Russie mais de faire en sorte que l’Ukraine ne le soit pas. Nous sommes à la veille d’un important mouvement militaire, de part et d’autre et la question qui se pose est jusqu’où va la légitime défense de l’Ukraine ? ».
D’où le sujet fondamental de savoir si l’on donne aux Ukrainiens les moyens de frapper dans la profondeur russe et des avions de combat , comme l’a demandé le président ukrainien Volodymyr Zelensky. Le Premier ministre britannique Rishi Sunak a redit à Munich que son pays formerait bientôt des soldats au maniement de tels avions et il a récemment promis des armes longue portée…
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« Le discours très clair d’Emmanuel Macron à Munich, vendredi, a été bien reçu par les alliés. En soulignant que ce sera un conflit prolongé, il anticipe que les protagonistes n’auront peut-être pas les armes pour tenir sur une très longue durée. Et logiquement appuie pour une solution négociée, afin d’éviter que ce soient les Américains et les Chinois qui proposent une solution aux Russes et aux Ukrainiens… », observe le directeur de l’Ifri. Le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a d’ailleurs promis samedi de présenter une proposition de paix dans les prochains jours.
Pour tenir sur la durée, le chancelier Olaf Scholz a souligné la nécessité d’une stratégie commune de défense. Un vœu partagé par la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen : elle a appelé samedi à accélérer la production d’armements standard, comme les munitions dont manque l’Ukraine. Mais Olaf Scholz a aussi évoqué les projets franco-allemands d’avion et de char de combat du futur, ainsi que le bouclier antimissile et antiaérien qu’il veut déployer dans le ciel européen.
Défense européenne
Autant de sujets qui buttent depuis des années sur des conceptions divergentes de part et d’autre du Rhin et sur les rivalités entre les industriels des deux pays. Emmanuel Macron a cependant saisi cet élan pour annoncer une « conférence sur la défense aérienne de l’Europe » à Paris en présence des industriels européens du secteur mais aussi des dirigeants européens, y compris britanniques.
Ce sommet permettra d’aborder ce sujet « sous l’angle stratégique en incluant la question de la dissuasion » nucléaire, a-t-il précisé. Elle a fait ses preuves ces derniers mois et elle doit, selon Emmanuel Macron, être intégrée dans les débats sur la défense antimissile. Le bouclier antiaérien , poussé au plus grand dam de la France par Olaf Scholz à partir de technologies américaines et israéliennes, pourrait finalement être l’occasion pour les Européens de développer des capacités de production de missiles à charge nucléaire.
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Alors même que le traité sur l’élimination des forces nucléaires à portée intermédiaire signé par Washington et Moscou a pris fin en 2019, ces missiles élargiraient la portée du bouclier et permettraient à l’UE de dissuader la Russie d’utiliser ce type d’arme. La maîtrise de leur production renforcerait aussi la souveraineté de l’UE. La France en est convaincue. Il reste à savoir si Olaf Scholz est prêt à suivre cette logique de dissuasion nucléaire, comme le fut Helmut Schmidt en son temps.
Par Virginie Robert, (à Munich) et Ninon Renaud, publié le 19 février 2023 à 15h46, mis à jour le 19 février 2023 à 16h50
Photo en titre : Le président français s’est exprimé lors de la conférence sur la sécurité à Munich vendredi. (Odd ANDERSEN/AFP)
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