En amont du Conseil européen de l’énergie mardi (28 mars) à Bruxelles, deux groupes d’États membres se sont fait face : d’un côté, la France et 10 États membres regroupés autour d’une « alliance » du nucléaire ; de l’autre, l’Autriche et 9 États membres « amis des renouvelables ».
Lors d’un sommet européen à Stockholm en février, la France avait initié une réunion avec dix autres États membres — Bulgarie, Croatie, Finlande, Hongrie, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie — autour d’une « alliance » du nucléaire.
En amont d’une réunion des ministres européens au Conseil de l’énergie de l’UE mardi (28 mars), la ministre française de l’Énergie, Agnès Pannier-Runacher, a de nouveau réuni le groupe à Bruxelles.
Les États participants ont ainsi « pleinement reconnu que le nucléaire est une technologie stratégique pour l’atteinte de la neutralité climatique », peut-on lire dans le communiqué de presse conjoint. Une réponse directe au règlement pour une industrie « zéro émissions nettes » présenté par la Commission européenne il y a deux semaines et qui ne mentionnait pas le nucléaire parmi les technologies dites « stratégiques » pour la décarbonation de l’industrie européenne.
Parmi les représentants d’États membres présents figuraient deux nouveaux « observateurs » : les ministres de l’Énergie italien et belge.
À première vue, la présence de la ministre de l’Énergie belge et écologiste, Tinne Van der Straeten, détonne. Mais le tollé provoqué par la fermeture de deux réacteurs nucléaires sur les sept que compte le pays, en pleine crise énergétique (septembre 2022 et janvier 2023), peut expliquer en partie ce regain d’intérêt. D’autant que le gouvernement a depuis fait machine arrière et souhaite prolonger pour dix ans une série de réacteurs qui étaient censés fermer en 2025.
Aussi, l’« alliance » s’intéresse en particulier au développement de nouvelles technologies comme les petits réacteurs modulaires (SMR) qui, contrairement aux réacteurs de plus grande taille, font plutôt consensus au niveau européen.
Échange de bons procédés entre la France et l’Italie ?
L’approche est similaire du côté de l’Italie, dont la défense du nucléaire de grande taille ne pourrait faire sens en raison des contraintes sismiques que connaît le pays.
Selon la presse italienne, la présence du ministre de l’Énergie italien, Gilberto Pichetto Fratin, résulte surtout du soutien qu’attend Giorgia Meloni d’Emmanuel Macron sur ses politiques migratoires et en matière de biocarburants.
En guise de bonne foi, M. Pichetto Fratin a d’ailleurs rappelé, durant le conseil de l’Énergie, l’importance de disposer d’une approche « technologiquement neutre » sur les énergies à faibles émissions de carbone dans l’UE.
Déjà présents à Stockholm, les Pays-Bas ont également participé à la réunion des états pro-nucléaires à Bruxelles, mais en tant qu’observateurs. Le Royaume néerlandais cherche à construire deux nouveaux réacteurs et l’alliance pourrait donc participer à la qualité des études entreprises.
La présence des Bataves conforterait par ailleurs la France qui cherche à s’appuyer sur des partenaires traditionnellement proches de l’Allemagne pour faire avancer son lobbying pro-nucléaire.
Les « amis des renouvelables » se mobilisent
De l’autre côté, un certain nombre d’États membres voient d’un très mauvais œil ces rapprochements formalisés autour du nucléaire.
Mise en branle, l’Autriche a organisé, au même moment que la réunion française, un petit-déjeuner concurrent regroupant les « amis des renouvelables ».
Autour de la table : l’Estonie, l’Espagne, l’Allemagne, le Danemark, l’Irlande, le Luxembourg, le Portugal, la Lettonie et la Lituanie, pour qui seuls les renouvelables peuvent figurer dans les objectifs européens de développement d’énergies décarbonées.
Et sentant que le vent tourne en leur défaveur depuis quelques mois, leur stratégie est autrement plus offensive.
Leonore Gewessler, ministre autrichienne de l’Énergie, avoue elle-même être « prête à se battre » pour éviter que les États membres favorables au nucléaire n’arrivent à leurs fins en faisant reconnaître sur un pied d’égalité le nucléaire et les énergies renouvelables — ce qui s’apparenterait, selon elle, à du « greenwashing ».
« Il est absolument clair qu’il ne peut y avoir une équation prenant l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables. Ce sont deux discussions complètement différentes », a-t-elle martelé en amont du conseil.
Discours inverse du côté de Mme Pannier-Runacher qui, dans une interview donnée au média allemand Frankfurte Allgemeine mardi, a rappelé que « la France choisit le nucléaire tout autant que les renouvelables », faisant le constat que « la France et l’Allemagne ont chaque année la même proportion de renouvelables depuis 2012 ».
Dégageant une sérénité certainement renforcée par le nombre d’États qui soutiennent son approche, Mme Pannier-Runacher n’a donc pas eu besoin de hausser le ton pour rappeler, en amont du conseil, qu’elle souhaitait que les textes européens puissent « traiter toutes les énergies, qui participent de notre neutralité carbone en 2050, sur le même pied d’égalité ».
Or, c’est bien là que le bât blesse. La France, soutenue par les pro-nucléaires, exige la reconnaissance explicite du rôle de l’hydrogène bas-carbone produit à partir d’électricité nucléaire dans les objectifs de la directive renouvelable (RED3).
Un chiffon rouge pour les « amis des renouvelables » farouchement opposés au nucléaire.
« Renouvelable signifie renouvelable » — expression devenue mantra —, insiste en ce sens le ministre luxembourgeois de l’Énergie, Claude Turmes, depuis le 17 mars.
À la simple évocation par Mme Pannier-Runacher en conseil des ministres des difficultés dans les négociations à venir sur la RED3 dans l’hypothèse où l’hydrogène bas-carbone ne figurerait pas dans le « paquet gaz », M. Turmes a répliqué qu’il ne souhaitait « pas être pris en otage ».
La Commission en arbitre
En tant qu’arbitre du match, la Commission européenne multiplie également les erreurs à vouloir ménager la chèvre et le chou.
Jeudi dernier (23 mars), Ursula von der Leyen avait déclaré que le nucléaire n’était « pas stratégique » dans le cadre du règlement pour une industrie « zéro émissions nettes ».
À l’inverse, Mme Pannier-Runacher avançait lors du conseil de l’Énergie mardi que la Commission avait « reconnu », lors de la réunion des pays de l’« alliance » du nucléaire, qu’il fallait « considérer tous les leviers qui permettent d’atteindre la neutralité carbone ».
Dès lors, la France devrait pouvoir compter sur le soutien des États membres de l’« alliance » pour appuyer, mercredi (29 mars), sa position quant à une prise en compte des mix décarbonés dans les objectifs de développement des renouvelables dans la directive RED3.
Néanmoins, le soutien des pays « observateurs » n’est pas assuré. L’Italie a d’ailleurs précisé qu’elle n’avait pas signé de document conjoint, tandis que les Pays-Bas et la Belgique ont également participé à la réunion concurrente initiée par l’Autriche.
En revanche, la présidence suédoise s’est engagée à « faire une proposition » en vue des négociations sur la RED3 afin qu’apparaisse noir sur blanc dans le texte un « traitement différencié entre le nucléaire et les énergies fossiles », a précisé Mme Pannier-Runacher à l’issue du conseil.
Par Paul Messad pour EURACTIV France, publié le 29 mars 2023 à 07h23, mis à jour à 13h51
Photo en titre : La ministre française de la transition énergétique, Agnès Pannier-Runacherand (à gauche), et la ministre polonaise du climat et de l’environnement, Anna Moskwa (à droite), discutent au début d’un conseil des ministres de l’énergie de l’UE à Bruxelles, en Belgique, le 28 mars 2023. [EPA-EFE/OLIVIER HOSLET]
https://www.euractiv.fr/section/energie/news/nucleaire-contre-renouvelables-deux-camps-saffrontent-a-bruxelles/
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