Si les réacteurs de la plus grande centrale d’Europe sont actuellement à l’arrêt, ce qui réduit le risque d’un accident grave, la sûreté des installations demeure un enjeu majeur.
Ce fut la première « prise » des Russes : le site nucléaire de Tchernobyl est passé sous le contrôle des troupes de Moscou dès les premières heures de l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022. Une semaine plus tard, un premier projectile touchait la centrale de Zaporijjia. Depuis, la question de la sûreté des installations a été sans cesse au cœur des préoccupations : jamais un État aussi nucléarisé n’avait été le théâtre d’un conflit armé d’une telle intensité.
Si aucune des quatre centrales ukrainiennes n’a jusqu’ici connu d’accident grave, les craintes restent vives alors que la guerre entre dans sa deuxième année. « La situation autour de la plus grande centrale nucléaire d’Europe [la centrale de Zaporijjia, située dans le sud-ouest de l’Ukraine] reste instable et imprévisible », alertait encore, le 10 février, le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Mariano Grossi. Quelques jours plus tôt, une rotation des inspecteurs de l’organisation, désormais présents en permanence à Zaporijjia, avait dû être reportée en raison d’affrontements.
Grossi tente depuis septembre d’obtenir l’instauration d’une « zone de sûreté» autour de la centrale, mais aucune des deux parties ne semble prête à accepter un tel dispositif. Cette zone permettrait de réduire le risque d’une attaque directe ou indirecte.
Diesels de secours
Au-delà des bombardements et des tirs de missile, les ruptures de l’approvisionnement électrique constituent un risque majeur, les centrales devant être refroidies en permanence pour éviter une fusion du cœur. Or Zaporijjia n’a cessé de subir des pertes d’alimentation, partielles ou totales, et les diesels de secours ont dû être mis en route à de multiples reprises.
Lire aussi : À la centrale nucléaire de Tchernobyl, 35 jours sous occupation de l’armée russe (Article réservé à nos abonnés)
Un élément a toutefois changé la donne par rapport au début de la guerre : en septembre 2022, les six réacteurs de Zaporijjia ont été mis à l’arrêt. À la mi-février, quatre étaient encore en « arrêt froid » et deux en « arrêt chaud » – c’est-à-dire qu’ils alimentaient uniquement en chaleur la centrale et la ville voisine. Cette évolution réduit significativement le risque d’accident avec fusion du cœur, même si les réacteurs doivent continuer à être alimentés en électricité et en eau. « Quand les réacteurs sont à l’arrêt depuis un certain temps, la quantité de radioactivité diminue et les besoins de refroidissement sont moins importants, précise Olivier Gupta, directeur général de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) française et président de l’Association des autorités de sûreté d’Europe de l’Ouest (Wenra). Cela laisse aussi plus de temps pour réagir en cas de problème. »
Début février, l’autorité de sûreté ukrainienne a fait savoir qu’elle n’autoriserait pas Zaporijjia à produire de nouveau de l’électricité tant que le site ne serait pas repassé sous contrôle ukrainien. Mark Hibbs, spécialiste de politique nucléaire au Carnegie Endowment for International Peace, envisage toutefois deux raisons qui pourraient pousser les opérateurs à relancer les installations. « Lorsqu’un réacteur est arrêté trop longtemps, des éléments peuvent être endommagés, explique-t-il. Et un arrêt trop long peut aussi entraîner une suspension de la licence d’exploitation. »
Conditions de travail éprouvantes
Si les Russes occupent les lieux depuis près d’un an, Vladimir Poutine a franchi une étape supplémentaire, en octobre 2022, en signant un décret affirmant que les installations de Zaporijjia étaient désormais une « propriété fédérale russe ». « La prise de contrôle de la centrale par les Russes perturbe la chaîne de prise de décisions. Or les aspects organisationnels et humains tels que la fluidité des relations entre personnels sont essentiels en matière de sûreté, explique Olivier Gupta. De plus, le flux d’informations qui était transmis par l’opérateur ukrainien Energoatom à l’autorité de sûreté ukrainienne a encore diminué. » Depuis près d’un an, les inspecteurs ukrainiens n’ont pas pu se rendre sur les lieux.
Les opérateurs ukrainiens, qui continuent à faire tourner la centrale, sont également soumis à des conditions de travail particulièrement éprouvantes. Les Russes veulent notamment les contraindre à signer de nouveaux contrats avec la société d’État russe Rosatom, ce qu’Energoatom les exhorte à ne pas faire. « La réduction des effectifs combinée au stress psychologique a créé une situation sans précédent qu’aucun membre du personnel des centrales ne devrait avoir à endurer », a répété récemment l’AIEA. Fin janvier, Energoatom a également fait savoir que les salariés ne pouvaient plus se former, un simulateur étant hors service.
Autre préoccupation, le niveau de l’immense réservoir d’eau qui assure le refroidissement de la centrale est actuellement en forte baisse. « Même si cette diminution ne constitue pas une menace immédiate pour la sûreté, elle peut devenir une source d’inquiétude si elle est autorisée à se poursuivre », a averti Rafael Mariano Grossi.
Tous ces éléments fragilisent considérablement la sûreté des installations. Et surtout, la guerre n’est pas terminée. « La situation a été plutôt stable ces derniers mois mais cela peut changer très rapidement, rappelle Mark Hibbs. Si un jour les Ukrainiens voulaient reprendre le contrôle de Zaporijjia et que des combats aient lieu à l’intérieur même de la centrale, les risques seraient très importants. »
Par Perrine Mouterde, publié le 23 février 2023 à 16h00, mis à jour à 19h11
Photo en titre : Exercices dans le cas d’un éventuel incident nucléaire à la centrale nucléaire de Zaporijjia, en Ukraine, le 17 août 2022. DIMITAR DILKOFF / AFP
Commentaires récents