NUCLÉAIRE : LA COUR DES COMPTES PLAIDE POUR UNE RÉVISION DES LIMITES DES REJETS THERMIQUES DES CENTRALES

La Cour des comptes s’est penchée sur les impacts des changements climatiques sur le parc nucléaire. La question de la ressource en eau y tient une bonne place, en particulier l’enjeu des rejets thermiques qui contraint la production nucléaire.

La Cour des comptes a publié, le 21 mars, un rapport sur l’adaptation au changement climatique du parc nucléaire. Le rapport confirme que le parc nucléaire doit se préparer à faire face à des conséquences qui l’affecteront à des degrés divers et croissants.

Parmi les six recommandations du rapport, trois concernent la ressource en eau des centrales installées aux abords des fleuves. La Cour s’attarde en particulier sur la réglementation des rejets thermiques qui impose de réduire, voire d’arrêter, certains réacteurs en période de faible débit et de canicule, sauf à fonctionner en régime dérogatoire, comme l’été passé. La Cour recommande de « consolider et mettre à jour les fondements scientifiques justifiant les limites réglementaires applicables aux rejets thermiques des réacteurs nucléaires ». Tout en relayant des études qui tendent à montrer que les centrales n’auraient qu’un faible impact sur le réchauffement des cours d’eau.

Un sujet suivi de près

La Cour rappelle que depuis vingt ans, EDF étudie les effets des rejets thermiques des centrales nucléaires sur le milieu aquatique et la biodiversité. En outre, le suivi environnemental imposé lors des périodes de fonctionnement en régime dérogatoire (lorsqu’un réacteur est autorisé à fonctionner au-delà du seuil réglementaire) permettra de savoir « jusqu’à quel point l’exploitation des réacteurs thermosensibles pourra être assurée en période estivale par une adaptation du cadre réglementaire ».

La Cour ne dit pas clairement si le cadre règlementaire pourrait être assoupli pour autoriser des rejets à des températures plus élevées. Mais le rapport dresse un panorama, plutôt favorable à EDF, des enseignements tirés des programmes de recherche thermie-hydrobiologie.

Les études évoquées confirment que la température de l’eau des fleuves s’est élevée en moyenne de 0,8 °C par décennie au cours des quarante dernières années. Parallèlement, leur débit a baissé de 5 % par décennie et l’eutrophisation a reculé (avec la diminution des phosphates et de la chlorophylle-a). Cette dynamique a entraîné le remplacement d’espèces septentrionales vivant en eaux fraîches par des espèces méridionales et thermophiles.

Le cas de Chooz La centrale de Chooz, située sur la Meuse, un fleuve frontalier, fait l’objet d’un accord franco-belge. « À partir d’un débit minimal, l’accord impose que la totalité du débit en aval de Chooz soit réservé aux utilisateurs belges, notamment aux installations de production d’eau potable. » Cet accord, contrairement aux règles applicables aux autres centrales, ne prévoit aucune dérogation lors des situations exceptionnelles et impose donc des arrêts de production.
« L’année 2020 a marqué un tournant, avec soixante-quinze jours cumulés d’application de l’accord, conduisant à une perte de production de 2,8 TWh », explique la Cour qui prévient : « Si le niveau atteint en 2020 paraît exceptionnel, la fréquence des arrêts de production semble s’accélérer ces dernières années. »
Des accords du même type, mais pour l’instant moins contraignants, s’appliquent à la centrale de Cattenom (accord avec le Luxembourg sur le débit de la Moselle) et les centrales situées sur le Rhône (accord franco-suisse).

Aucune différence significative

Quel rôle jouent les rejets d’eau chaude des centrales nucléaires dans cette évolution ? « De manière systématique, aucune différence significative n’a été observée entre les tendances biologiques relevées sur les stations localisées à l’amont des [centrales] et celles localisées à l’aval », rapporte la Cour, ajoutant que « les changements globaux sont les déterminants principaux des évolutions biotiques constatées ». Même observation au sujet de l’état sanitaire de la faune piscicole : une étude réalisée à la centrale du Tricastin (Drôme) « n’a pas mis en évidence de différence significative entre l’amont et l’aval après mélange dans les indices de condition moyens et dans la prévalence des lésions externes des poissons ».

En résumé, la rue Cambon juge que la fixation de seuils de températures pour les rejets des centrales « est ancienne et mérite d’être interrogée ». Et cela, alors que les études relayées par le rapport de la Cour « semblent conclure à ce stade au faible impact de la présence des centrales ».

Des pertes appelées à se multiplier

Si la Cour consacre une si large place aux rejets thermiques des centrales, c’est qu’elle considère que la fixation des seuils réglementaires est « essentielle » pour leur fonctionnement. Elle rappelle que, lors des canicules et des sécheresses, ces normes environnementales de prélèvements de rejets « peuvent contraindre l’exploitation et réduire la disponibilité et la production du parc, notamment pour les sites thermosensibles en bord de fleuves ».

Pour l’instant, les pertes de production dues à ces normes sont limitées (moins de 1 % de la production annuelle, en moyenne) et concentrées sur six sites : Saint-Alban (Isère), Tricastin, Bugey (Ain), Blayais (Gironde) et Golfech (Tarn-et-Garonne), s’agissant des centrales impactées par les normes de rejets thermiques, et Chooz (Ardennes), s’agissant des contraintes de prélèvement (lire encadré). Des pertes limitées, mais qui « sont concentrées sur des périodes brèves, estivales le plus souvent, et peuvent s’avérer critiques en accroissant les risques de tension sur le réseau ».

En outre, ces indisponibilités devraient être multipliées « par un facteur de trois à quatre (…) à l’échéance de 2050 », estime la Cour, qui rappelle que les épisodes caniculaires sont déjà « quasi-annuels depuis 2017 ».

Une première réforme en 2006

Après les canicules de 2003, 2005 et 2006, l’État a d’abord adopté des modifications temporaires des limites fixées à certaines centrales, puis a réformé la réglementation en 2006 « pour permettre de maintenir la production nucléaire de certains sites ». Mais pas suffisamment, semble dire la Cour, qui recommande donc de poursuivre les études sur le sujet et de revoir les seuils.

Bien sûr, la Cour ne suggère pas uniquement d’adapter la réglementation. Elle recommande à EDF de renforcer la recherche et développement sur les systèmes de refroidissement sobres en eau ainsi que sur des systèmes de traitement biocide plus sobres en réactifs chimiques rejetés dans le milieu naturel.

Enfin, les rejets d’effluents liquides, notamment radioactifs, ne sont autorisés que si le débit du cours d’eau est suffisant. Sur ce sujet, la Cour recommande à EDF et aux pouvoirs publics de « mesurer et publier les impacts de la contrainte hydrique ». Cela afin d’« adapter si nécessaire [les] capacités d’entreposage avant rejet ». En effet, stocker les effluents avant rejet peut temporairement desserrer les contraintes d’exploitation de la centrale, explique la Cour.

Par Philippe Collet, journaliste rédacteur spécialisé, publié le 24 mars 2023

Photo en titre : Le rapport confirme que le parc nucléaire doit se préparer à faire face aux conséquences des changements climatiques. © Bernard 63

https://www.actu-environnement.com/ae/news/nucleaire-changement-climatique-rejets-thermiques-cour-comptes-41428.php4