Techniquement, ça peut marcher, économiquement, c’est plus complexe.
Nous ne cessons nous-mêmes d’utiliser l’expression: la fusion nucléaire –qui, schématiquement, vise à recréer et à maîtriser, sur Terre, la réaction qui fait bouillir notre Soleil pour en tirer une électricité virtuellement infinie et propre– est une sorte de «graal énergétique».
Que ce soit avec des projets étatiques et internationaux comme le réacteur thermonucléaire expérimental international ITER dans le sud de la France, ou au travers d’une myriade mondiale de start-up promettant monts, merveilles et lumière illimitée, sous diverses formes et par divers moyens, la fusion est à la mode, attire les capitaux et présente déjà quelques résultats prometteurs.
Mais tous ces efforts en valent-ils réellement la peine ? Techniquement, la question agite la communauté scientifique depuis des décennies, nombre de chercheurs pensant que la fusion ne parviendra jamais à être assez mature pour offrir à l’humanité ce « graal » qu’elle espère tant.
Mais c’est aussi sur le plan économique que la question doit se poser: si elle arrive un jour, et si elle arrive à temps –avant que le monde ne devienne une terre brûlée–, la fusion nucléaire déboulera sur un marché où elle ne sera pas seule et où de fins calculs devront être établis pour déterminer le réel intérêt de son inclusion à nos mixes énergétiques.
C’est, comme le rapporte Wired, l’exercice délicat auquel s’est essayé Jacob Schwartz, physicien à l’université de Princeton, et dont il a publié les résultats dans la revue Joule. «Je me demandais comment diable la fusion pourrait jamais être compétitive sur le plan économique face aux gains étonnants des énergies renouvelables», explique le scientifique quant à sa démarche.
Mouais
Avec ses collègues, il a planché sur une simulation de la grille énergétique américaine entre 2036 et 2050, afin de savoir s’il serait économiquement viable de fabriquer l’équivalent de 100 gigawatts de production d’électricité par la fusion, soit de quoi alimenter 75 millions de foyers.
Toute la solidité des données et modélisations utilisées ne simplifiera pas l’équation, et c’est en substance les conclusions auxquelles arrivent Jacob Schwartz et son équipe. Selon eux, les résultats varient grandement selon les évolutions financières et technologiques à venir du côté des centrales classiques et des énergies renouvelables, solaire ou éolienne notamment, et changent d’un bout à l’autre du pays, où les conditions climatiques ne sont pas les mêmes.
Jamais en revanche les scientifiques ne sont arrivés à la conclusion que, une fois prête sur le plan technologique, la fusion allait écraser soudainement tout le reste, dont la planète pourrait désormais se passer grâce à son nouveau miracle énergétique. Globalement et selon leurs calculs, la fusion finirait comme un marché de niche, à l’image de la fission nucléaire aujourd’hui: présente, mais pas omniprésente, selon les besoins spécifiques de l’endroit et le coût des réacteurs.
Un modèle en particulier, nommé ARIES-AT et basé sur le concept du tokamak, a la préférence de leur modèle pour obtenir le «bon prix» pour l’énergie produite, celui qui permettrait à la fusion de s’inventer cette place sur le marché.
Comme le note Wired, une précédente analyse de nature similaire, menée par Samuel Wars et son équipe, arrivait à des conclusions sensiblement similaires. Les progrès techniques et financiers des énergies renouvelables et ceux des méga-batteries chargées de stocker leur production sont tels que les investissements lourds dans de nouveaux réacteurs à fusion pourraient s’avérer trop coûteux, ou peu voire pas utiles dans de nombreuses situations.
Avec le concept de mini-réacteurs à bas coût, même la bonne vieille fission pourrait retrouver un intérêt économique et prendre sa part du lion dans le mix énergétique du futur –du moins s’il parvient à surmonter ses actuelles difficultés. Qu’en pensent les acteurs de la fusion ? Que leurs solutions restent bien sûr valables, et ce, qu’elles soient basées sur le principe du tokamak ou sur celui du confinement inertiel.
Selon ceux interrogés par Wired, les coûts de la construction des réacteurs à fusion devraient chuter dans les prochaines années avec le progrès de diverses technologies. En outre, leur carburant est par nature presque gratuit et ne nécessite aucun traitement ou stockage coûteux a posteriori, à l’inverse de l’uranium par exemple.
Patron de First Light Fusion, Nicholas Hawker est conscient que les choses ne se dérouleront pas comme par magie, qu’elles prendront du temps et que le fameux «graal» énergétique est encore loin. Il se dit donc ravi que tant de structures étudient tant de solutions différentes, ce qui augmente les chances que l’une d’entre elles survive à la fois sur le plan technologique et sur le plan commercial.
Repéré par Thomas Burgel sur Wired, publié le 13/04/2023 à 7h09
Photo en titre : Attention monsieur: il va faire chaud. Très chaud. | Rswilcox via Wikimedia Commons
https://korii.slate.fr/tech/energie-et-si-fusion-nucleaire-ne-valait-finalement-pas-coup-prix-marche-renouvelables-fission-nucleaire
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