JOËL BARRE, UN DÉLÉGUÉ INTERMINISTÉRIEL AU NUCLÉAIRE POUR « RENFORCER LE RÔLE DE L’ÉTAT » DANS LA RELANCE DU SECTEUR

Rattaché à la première ministre, le responsable a lancé une « revue de programme » pour les nouveaux EPR 2, dont les résultats sont attendus pour octobre.

 Son année de promotion à l’École polytechnique (1974) coïncide avec le lancement du « plan Messmer ». Joël Barre, certes, n’a pas pris part au premier grand plan de développement du nucléaire civil en France, annoncé par le premier ministre d’alors, Pierre Messmer. Mais près d’un demi-siècle plus tard, après des années passées dans l’armement et l’aérospatial, le voilà désormais délégué interministériel au nouveau nucléaire.

« La création de cette délégation, à mon sens, a pour but de renforcer le rôle de l’État dans la préparation et la conduite de ce programme du nouveau nucléaire », souligne M. Barre, 68 ans, dans un bureau au décor impersonnel situé au premier étage du ministère de la transition énergétique, en dessous de celui de la ministre, Agnès Pannier-Runacher, dans le 7ème arrondissement parisien.

Le gouvernement veut au moins six nouveaux réacteurs pour produire de l’électricité bas carbone. Voire huit autres par la suite. Au délégué interministériel d’assurer la « supervision » de cette relance, pour reprendre les termes du décret de novembre 2022 instituant sa tâche. Placée auprès de la première ministre, Élisabeth Borne, sa délégation fonctionne aussi en lien avec le ministère de l’économie et des finances.

« Mauvais jalonnement »

Lundi 15 mai, Joël Barre espérait l’adoption par le Parlement, le lendemain, d’un projet de loi important. Celui visant à l’accélération des procédures administratives, en vue de nouveaux réacteurs. Le défi, bien au-delà, concernera surtout la construction de bâtiments nucléaires – sous réserve de la future loi de programmation sur l’énergie et le climat, cette année. « En termes d’enjeux technico-programmatiques, ce sont des choses que la France sait faire », soutient l’ancien délégué général pour l’armement (2017-2022).

La filière nucléaire a pourtant cessé de « faire » pendant de longues années, faute de commandes. Au risque de perdre en compétences. Le nouveau délégué au nucléaire compte se rendre, à la fin du mois, sur le chantier de l’EPR de Flamanville (Manche). Un chantier toujours en cours depuis fin 2007, accumulant retards et surcoûts. « Quand la réalisation débute avant la fin des études, cela implique le risque d’avoir à effectuer des modifications en cours de réalisation », fait-il observer, rappelant les conséquences d’un « mauvais jalonnement ».

Depuis mars, une « revue de programme en bonne et due forme » analyse le projet de conception des futurs réacteurs, de type EPR 2. Le délégué a tenu à la mettre en œuvre sur le modèle de ce qui peut exister « dans les programmes d’armement ou les programmes spatiaux ». La coordination en a été confiée à Hervé Guillou, ancien patron de Naval Group, une référence de l’industrie navale militaire.

« Écouter les experts »

Les résultats, attendus pour le mois d’octobre, permettront d’affiner les projections. Jusqu’à présent, l’exécutif espère toujours une première mise en service à l’horizon 2035. Construire six unités coûterait près de 52 milliards d’euros, selon son hypothèse centrale, en 2022. « La filière électronucléaire n’a pas encore été suffisamment consolidée, avertit M. Barre. Il va falloir attirer et former de nouvelles personnes. » Immense défi, « d’autant que le nucléaire n’est pas la seule industrie à vouloir recruter ».

« Pour la conduite d’un programme complexe de haute technologie, vous n’avez pas besoin d’être un expert du domaine. Vous avez besoin de savoir écouter les experts et les challenger, fait valoir le diplômé de Supaéro, l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace. Toute prétention mise à part, en m’entourant de bonnes personnes, je sais discuter avec un industriel sans connaître tous les détails techniques de ce qu’il va me raconter. »

L’ancien directeur général délégué du Centre national d’études spatiales, passé aussi par une société du groupe Safran, a retrouvé des visages connus. Comme celui de Luc Rémont, croisé lorsque ce dernier commençait à peine sa carrière. Cet autre ancien ingénieur de l’armement dirige à présent EDF, maître d’ouvrage du nouveau nucléaire. Un groupe dont l’État s’apprête à reprendre 100 % des parts.

Par Adrien Pécout, publié le 16 mai 2023 à 13hOO

Photo en titre : Joël Barre, à l’époque délégué général de l’armement, le 7 mai 2022, au palais de l’Elysée, à Paris.

https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/05/16/joel-barre-un-delegue-interministeriel-au-nucleaire-pour-renforcer-le-role-de-l-etat-dans-la-relance-du-secteur_6173574_3234.html

NDLR : la machine se met en marche…