NUCLÉAIRE : AVEC L’ARRIVÉE MASSIVE DES STARTUPS, L’ASN CHERCHE DES RENFORTS POUR MENER À BIEN SA MISSION

Une dizaine de startups françaises et étrangères entendent développer des petits réacteurs nucléaires dans l’Hexagone. Du jamais vu pour le gendarme du secteur, habitué à dialoguer avec une poignée d’industriels, EDF en tête, seul exploitant du parc tricolore. Un temps bientôt révolu.

L’Autorité de sûreté nucléaire manque de bras. Face à la multiplication des startups dans cette industrie, jusqu’à présent ultra centralisée, le gendarme du nucléaire a monté une petite équipe ad hoc composée de cinq personnes. Mais ces effectifs restent insuffisants. « Nous ne sommes pas assez. Il faudrait que nous puissions monter à au moins dix personnes. Si l’équipe ne double pas, nous ne pourrons pas accompagner le plan France 2030 », a prévenu Bernard Doroszczuk, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire, en marge de la présentation de son rapport annuel à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst). « À l’instar de ses homologues, le travail réalisé tant au niveau national et international exige un renforcement substantiel des moyens de l’ASN », a-t-il souligné devant les députés et sénateurs, réunis le 25 mai dernier.

Une dizaine de porteurs de projets de petits réacteurs nucléaires innovants français et étrangers ont déjà tapé à la porte du gendarme du nucléaire au cours des derniers mois, a rapporté Bernard Doroszczuk. Dans l’Hexagone, depuis le lancement de l’appel à projets « Réacteurs nucléaires innovants », initié dans le cadre du plan France 2030, les startups fleurissent aux côtés du programme phare Nuward, piloté par EDF. Parmi elles : Jimmy, Newcleo, Naarea, Transmutex, Neext Engineering, Hexana et Stellaria (toutes deux issues du CEA) ou encore Calogena, portée par le groupe industriel Gorgé.

Fin de l’unicité

Mais au-delà du manque de bras, le gendarme du nucléaire fait face à un véritable changement de paradigme alors que pendant des années son principal interlocuteur est resté EDF, aujourd’hui seul exploitant des 56 réacteurs du parc tricolore. « Nous avons vécu dans un monde d’unicité avec un seul exploitant avec une ingénierie extrêmement solide (…) C’est tout à fait différent face à des startups qui ont des idées extrêmement innovantes mais dont les projets n’ont pas la maturité suffisante et qui ont besoin de s’adosser sur des travaux de recherche et développement sur un certain nombre de composants qui sont essentiels dans leur process », a exposé le président de l’ASN, qui doit désormais apprendre à discuter avec « deux populations différentes ».

« Ces petits réacteurs ont souvent recours à des concepts de sécurité passive ne nécessitant pas d’électricité. Cela nécessite d’être démontré et pas seulement par des simulations, nous avons aussi besoin d’expérience. En tant qu’autorité de sûreté, nous sommes très friands de preuves basées sur des expérimentations plus concrètes », a complété Olivier Gupta, le directeur général de l’autorité. Des itérations physiques bien plus coûteuses à développer.

Une maturité technologique insuffisante

Outre le manque de maturité technologique, le patron de l’ASN s’est montré critique quant à l’absence de vision globale de certaines initiatives, notamment sur la question des combustibles. Plusieurs startups présenteraient ainsi des projets « avec des combustibles qui n’existent même pas et pour lesquels il n’y a pas encore d’usine de fabrication, dont le niveau d’enrichissement est extrêmement élevé, ce qui pourrait poser un problème de prolifération », a-t-il alerté.

Bernard Doroszczuk a ainsi appelé à la mise en place de tiers qui « puissent eux-mêmes jouer un rôle de grand frère par rapport à ces jeunes startups », qui ont besoin d’être orientées vers des choix technologiques. « Notre rôle consiste à les éclairer au maximum sans jamais franchir la ligne du conseil » a-t-il souligné. Dans cette optique, l’ASN devrait notamment s’appuyer sur le CEA (Commissariat à l’agence atomique), dont le rôle d’animation doit être renforcé. L’organisme doit notamment mettre à disposition ses infrastructures techniques et sa bibliothèque scientifique aux lauréats de l’appel à projets.

L’autre grande différence entre EDF et ces nouveaux entrants, c’est leur positionnement dans la chaîne de valeur. L’électricien historique est à la fois concepteur et exploitant de ses centrales nucléaires, une spécificité française. Ce qui n’est pas forcément l’ambition des jeunes entreprises, qui s’inscrivent davantage dans la philosophie américaine où l’exploitant d’une centrale n’est pas son concepteur. « Nous avons face à nous des vendeurs, des concepteurs qui ne sont pas des exploitants », a constaté le président de l’ASN. Or, l’interlocuteur du gendarme nucléaire français est l’exploitant. C’est à lui qu’il délivre la fameuse autorisation de création à l’issue de longs mois d’instruction car « c’est le premier garant de la sûreté », relève Bernard Doroszczuk.

Des « vendeurs » et non des exploitants

Pour décrocher le feu vert de l’autorité de sûreté, les startups seraient toutefois prêtes à exploiter leur première tête de série afin de démontrer la viabilité de leur dispositif. Charge à elles, ensuite, de trouver des exploitants prêts à prendre le relais. Ce qui nécessitera forcément de former de nouveaux opérateurs privés. Certaines jeunes pousses prévoient, elles, une approche hybride. C’est le cas de Calogena, qui espère coexploiter ses futurs réacteurs uniquement dédiés aux réseaux de chaleur, en partenariat avec des industriels spécialistes du chauffage urbain.

Le dernier né du groupe Gorgé explique avoir fait le choix de la simplicité pour la conception de son réacteur qui ne produira pas d’électricité, mais uniquement de la chaleur à basse pression. Objectif : obtenir l’autorisation du gendarme du nucléaire le plus rapidement possible. Calogena reste toutefois prudente et vise une mise en service à l’horizon 2032, soit le même calendrier que le projet Nuward d’EDF. Certains de ses compétiteurs, eux, sont beaucoup plus ambitieux. « Un porteur de projet est même prêt à déposer son dossier d’autorisation de création dès l’année prochaine », témoigne Bernard Doroszczuk, sans cacher son scepticisme sur ce calendrier extrêmement serré.

Rester dans la course mondiale

Si la compétition s’intensifie dans l’Hexagone, elle se joue aussi, et surtout, à l’international, notamment en Chine et en Amérique du Nord. Au Canada, le premier démonstrateur du petit réacteur développé par GE-Hitachi doit être mis en service dès 2027-2028. Un site pour l’accueillir est déjà en préparation. La vitesse d’instruction des dossiers sera donc déterminante dans cette course mondiale. Pour autant, certains nouveaux entrants refusent un traitement différent. « Je ne crois pas qu’il faille un guichet différent. Il faut, au minimum, le même niveau d’exigences », témoigne un entrepreneur. Il en va de l’acceptabilité de ces nouveaux réacteurs, qui pourraient être installés en périphérie des agglomérations et sur des sites industriels.

Le gendarme du nucléaire tricolore parie sur le développement de licences communes avec d’autres autorités de sûreté européennes pour accélérer le déploiement des projets sur le Vieux-Continent. Dans le cadre du programme Nuward, l’ASN travaille déjà étroitement avec les autorités finlandaise et tchèque. Elle prévoit d’étendre cette collaboration avec les Suédois et les Polonais. Autant de travaux supplémentaires qui renforcent le besoin de nouvelles ressources.

Par Juliette Raynal, publié le 31 mai 2023 à 14h22

Photo en titre : Bernard Doroszczuk, le président de l’Autorité de sûreté nucléaire. (Crédits : CHARLES PLATIAU)

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NDLR : C’est une fuite en avant du nucléaire tous azimuts ! Mais que voulez-vous mon brave monsieur, (mais aussi ma brave dame,) il nous faut bien augmenter notre consommation d’énergie si nous voulons consommer toujours plus ! CQFD.