LA MONGOLIE INTÉRESSE LA FRANCE POUR SON URANIUM

Après Emmanuel Macron en mai, la ministre française des affaires étrangères, Catherine Colonna, était dans le pays, notamment pour négocier la répartition du minerai à extraire et les droits de commercialisation.

Deux visites en un mois d’intervalle. Du jeudi 29 au vendredi 30 juin, c’est la ministre française des affaires étrangères, Catherine Colonna, qui s’est rendu en Mongolie. Le 21 mai, au détour d’un sommet du G7 organisé au Japon, Emmanuel Macron avait déjà effectué un court crochet. Il s’agissait de la première visite jamais effectuée par un président français dans cet État semi-désertique situé entre la Chine et la Russie.

L’objectif est clair, pour le gouvernement : diversifier autant que possible les sources d’approvisionnement en uranium, combustible nécessaire au parc nucléaire existant en France. Le groupe Orano (ex-Areva), dont l’État français est l’actionnaire majoritaire, détient déjà trois licences d’exploitation pour des gisements en Mongolie.

Désormais, les discussions portent plus précisément sur la répartition du minerai à extraire et les droits de commercialisation. Un accord est « en cours de négociation » avec l’exécutif mongol. L’objectif étant d’« aboutir à l’automne prochain », selon une source diplomatique au ministère de Catherine Colonna. Une réflexion est aussi en cours, par ailleurs, sur les métaux dits critiques, dont le lithium.

« Autonomie stratégique »

Orano est en partenariat avec Mon-Atom, société publique mongole. Le français possède 66 % de la joint-venture Baadrakh Energy, avec ce partenaire local. À l’issue des négociations, deux tiers des extractions uranifères pourraient ainsi être commercialisés par Orano. « Les droits de commercialisation et le financement dépendront des termes de l’accord d’investissement », précise M. Thoumyre, représentant d’Orano en Mongolie. Les dépenses dépasseront le milliard d’euros, selon le ministère français des affaires étrangères.

S’il se confirme, ce projet permettrait d’« extraire des quantités très importantes d’uranium, ce qui renforcerait notre autonomie stratégique », poursuit le ministère. Il s’agirait aussi de répondre indirectement aux critiques de Greenpeace. En mars, l’ONG antinucléaire a pointé dans un rapport le recours de la France à de l’uranium enrichi en provenance de Russie – le nucléaire n’étant pas concerné par les sanctions européennes contre Moscou, depuis le début de la guerre en Ukraine.

Orano a commencé en 1997 ses opérations d’exploration dans le désert de Gobi. Le gisement de Zuuvch Ovoo, découvert en 2010 et dont l’exploitation est espérée pour 2028, permettrait une production de 2 500 tonnes d’uranium par an pendant trente ans, selon l’entreprise. Soit 100 000 tonnes au total, dont la répartition avec Mon-Atom reste à préciser. Dans l’absolu, « cette mine pourrait répondre au besoin du parc nucléaire français pendant dix ans », précise Olivier Thoumyre.

Pour autant, la Mongolie est inexistante à ce jour dans les importations françaises, selon le ministère de la transition énergétique. Au niveau européen, l’Agence d’approvisionnement d’Euratom ne l’a pas non plus citée parmi les sources d’uranium à destination de l’Union européenne. Dans son rapport d’activité pour 2021, la quasi-intégralité des livraisons provenait de cinq pays : Niger, Kazakhstan, Russie, Australie et Canada.

Sous haute vigilance

L’ex-Areva exploite ainsi, depuis les années 1970, un vaste gisement à ciel ouvert au Niger. Mais la région reste sous haute vigilance, notamment après l’enlèvement par Al-Qaida au Maghreb islamique de sept de salariés du groupe et de Vinci, en 2010. Sur un autre plan, Yves Marignac, porte-parole de l’association antinucléaire négaWatt, estime que la perspective d’extraire le précieux minerai en Mongolie serait hasardeuse d’un point de vue géopolitique : « La zone est l’objet d’une lutte d’influence entre la Russie et la Chine, c’est-à-dire les deux principales puissances industrielles dans le domaine nucléaire. »

L’entreprise se présente comme l’un des principaux investisseurs français en Mongolie. Des soupçons de « corruption d’agent public étranger » impliquent cependant un ancien prestataire du groupe, la société de conseil Eurotradia International, pour l’obtention de l’exploitation de gisements dans le désert de Gobi. Le Parquet national financier (PNF) précise avoir ouvert dès 2015 une enquête préliminaire, à présent « clôturée ». L’institution n’a cependant pas encore choisi quelle suite lui donner.

Orano déclare collaborer avec les autorités judiciaires. « S’il s’avérait qu’il y a eu un acte susceptible d’avoir porté préjudice au groupe, Orano intenterait les actions judiciaires nécessaires à la défense de ses intérêts », a réagi le groupe.

Par Marjorie Cessac et Adrien Pécout, publié le 30 juin 2023 à 18h13, modifié à 08h55

Photo en titre : La ministre des affaires étrangères française Catherine Colonna et son homologue mongole Battsetseg Batmunkh à Oulan-Bator (Mongolie), le 29 juin 2023. BYAMBASUREN BYAMBA-OCHIR / AFP

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