La commission de l’Industrie (ITRE) du Parlement européen s’est prononcée en faveur d’une réforme minimale du marché de l’électricité de l’UE, ouvrant la voie aux négociations finales avec les États membres dans les plus brefs délais.
La réforme du marché de l’électricité, présentée par la Commission européenne en mars, vise à éviter une nouvelle crise énergétique similaire à celle de l’année dernière, au cours de laquelle les consommateurs ont dû faire face à des factures d’énergie astronomiques en raison des prix record du gaz.
Mais alors que la crise semble désormais passée, les négociations entre les États membres sur la réforme sont au point mort en ce qui concerne le traitement spécial accordé au nucléaire et au charbon.
Entre-temps, le Parlement européen a opté pour des positions moins controversées : il a supprimé l’impopulaire plafonnement des revenus des producteurs d’électricité d’origine renouvelable et nucléaire, dits « inframarginaux », tout en maintenant les mesures de soutien de l’État et en mettant l’accent sur la protection sociale.
« Avec cet accord, le Parlement place les citoyens au centre de la conception du marché de l’électricité », a déclaré l’eurodéputé espagnol Nicolás González Casares, négociateur en chef du Parlement pour les Socialistes et Démocrates (S&D).
La position a été adoptée en commission ITRE avec 55 voix pour et 16 contre. Un second vote a confirmé que l’approbation par l’ensemble de la chambre du Parlement ne serait pas nécessaire, bien que cela puisse être contesté par les groupes politiques de droite CRE et ID.
« Cette majorité est plus confortable que ce que j’espérais », a expliqué Morten Petersen, un eurodéputé danois qui a négocié au nom du groupe centriste Renew. « Il s’agit d’un sujet tellement sensible qu’il aurait pu partir dans tous les sens », a-t-il déclaré à EURACTIV.
Les groupes politiques du Parlement européen se sont mis d’accord sur les grandes lignes de la réforme du marché de l’électricité de l’UE ce jeudi, ouvrant la voie à une adoption rapide de la proposition au sein de l’hémicycle avant des discussions finales avec les États membres.
Peu d’ambition
Ce succès relatif est en partie dû à la faible ambition adoptée par la commission.
« Nous ne voulions pas révolutionner le système », a déclaré M. Petersen, tandis que Cornelia Ernst, une eurodéputée allemande du parti de gauche Die Linke, a déclaré que le rapport adopté en commission « ne s’attaquait pas aux vrais problèmes ».
« Il s’agit davantage d’une approche évolutive », a confirmé Cillian O’Donoghue, directeur politique chez Eurelectric, l’association européenne du secteur de l’électricité, qui avait précédemment mis en garde les eurodéputés contre tout bouleversement de la structure actuelle du marché.
Néanmoins, le Parlement a envoyé un signal « crucial » à l’industrie, a fait remarquer Eurelectric : tout plafonnement des revenus pour le nucléaire, l’hydroélectricité et les énergies renouvelables est désormais exclu.
Par conséquent, « on pourrait dire qu’il s’agit d’une position douce, en aucun cas d’une révolution », a noté M. Petersen.
Le Parti populaire européen (PPE) de centre droit s’est attribué une grande partie du mérite.
« Le plafonnement des revenus tirés des sources d’énergie dont les coûts marginaux sont plus faibles, ce que l’on appelle les technologies inframarginales, était une ligne rouge absolue pour le groupe PPE », a déclaré Maria da Graça Carvalho, l’eurodéputée portugaise qui a mené les négociations au nom du PPE.
Le deuxième aspect clé de la proposition, l’accent mis sur les marchés à long terme et la refonte de la boîte à outils des subventions énergétiques à la disposition des États membres, a également été adouci par le Parlement.
Les eurodéputés ont notamment rejeté les propositions visant à rendre obligatoires les contrats d’écart compensatoire (Contracts for Difference, CfD) chaque fois que les gouvernements interviennent sur le marché pour soutenir les investissements dans la production d’électricité.
L’existence de mécanismes de subvention autres que les CfD était une « priorité essentielle pour Renew », a déclaré M. Petersen. De son côté, Mme Carvalho a souligné que le respect des différents systèmes de subvention nationaux était également essentiel pour son parti.
La présidente de la Commission européenne, a reconnu que le marché de l’électricité de l’Union européenne « ne fonctionne plus » et doit être adapté aux « nouvelles réalités des énergies renouvelables » qui sont aujourd’hui dominantes.
Maintien du merit order
Lorsque la commissaire européenne Ursula von der Leyen a annoncé la réforme l’année dernière, en pleine crise énergétique, elle a affirmé que la structure actuelle du marché de l’électricité, basée sur le principe de préséance économique (merit order), n’avait pas permis de fournir de l’énergie bon marché aux consommateurs.
« Je pense que c’était une erreur. Et heureusement, nous l’avons maintenant reconnu dans le processus démocratique », a déclaré l’eurodéputé allemand Michael Bloss, négociateur des Verts.
L’ordre de mérite est un principe fondamental des marchés de matières premières, selon lequel les producteurs à coûts élevés ne sont sollicités qu’en cas de forte demande que les producteurs à faibles coûts ne sont pas en mesure de satisfaire.
L’idée d’une réforme « est venue d’un contexte totalement différent » avant un hiver « incertain », a expliqué M. Petersen. « Le processus de négociation a montré que le système de l’ordre de mérite présentait des avantages », a-t-il affirmé.
Mesures sociales
En réponse directe à la crise énergétique, le texte du Parlement est riche en garanties sociales supplémentaires.
« La lumière reste allumée », a déclaré M. Bloss, soulignant que la position du Parlement interdirait aux compagnies d’électricité de couper le courant pour les pauvres incapables de payer leurs factures d’énergie.
En outre, le Parlement veut s’assurer que les consommateurs ont le droit d’être approvisionnés en électricité, même si leurs fournisseurs font faillite. Les systèmes de prépaiement désavantageux pour ceux qui n’ont pas beaucoup d’argent devraient également disparaître.
Selon Eurelectric l’accent mis sur les contrats à long terme devrait aussi profiter aux consommateurs. L’association estime que la crise « a montré que les gens veulent des prix prévisibles ».
À partir du 1er août 2023, les prix du tarif réglementé de l’électricité d’EDF couvrant plus de 20 millions de foyers français vont augmenter de 10 %, provoquant les foudres de l’opposition parlementaire.
Prochaines étapes
Puisque les institutions européennes se préparent à la pause estivale, la réforme du marché de l’électricité ne devrait guère progresser avant septembre.
Tous les regards sont désormais tournés vers les États membres, notamment la France et l’Allemagne qui sont à couteaux tirés sur le soutien possible aux unités de production nucléaire. La Pologne, quant à elle, demande une plus grande marge de manœuvre pour soutenir l’énergie au charbon afin d’assurer sa sécurité d’approvisionnement.
« Nous n’excluons pas le nucléaire », a déclaré Mme Carvalho, qui a souligné une différence essentielle entre la position du Parlement et celle adoptée par la France. Alors que Paris souhaite soutenir la rénovation de son parc existant de centrales nucléaires, le Parlement insiste pour que seules les centrales nouvellement construites soient éligibles aux financements générés par les contrats d’écart compensatoire, contournant ainsi les règles de l’UE en matière de subventions.
« Il est clair qu’il y a une grande bataille en cours », a déclaré M. Petersen. « La question de l’utilisation des revenus des CfD reste un obstacle majeur », a-t-il expliqué.
En septembre, l’assemblée plénière du Parlement donnera son feu vert à l’ouverture des négociations. Si les États membres trouvent un compromis d’ici là, les négociations pourraient commencer en septembre et se terminer en décembre, espère l’eurodéputée portugaise Carvalho.
Les négociations entre les États membres sont supervisées par l’Espagne, qui assure actuellement la présidence tournante de l’UE pour six mois et pourrait bientôt changer de gouvernement après les élections nationales prévues dimanche (23 juillet).
Toutefois, les législateurs sont convaincus que la réforme du marché de l’électricité se déroulera comme prévu. « Je ne pense pas que cela causera des problèmes », a conclu Mme Carvahlo.
Par Nikolaus J. Kurmayer | EURACTIV.com, traduit par Anna Martino
Photo en titre : Avec cet accord, le Parlement place les citoyens au centre de la conception du marché de l’électricité », a déclaré l’eurodéputé espagnol Nicolás González Casares, négociateur en chef du Parlement pour les Socialistes et Démocrates. [Parlement européen/Éric VIDAL]
https://www.euractiv.fr/section/energie-climat/news/le-parlement-europeen-vote-une-reforme-peu-ambitieuse-du-marche-de-lelectricite/
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