Ce serait « irresponsable à ce moment-ci », nous dit la nouvelle direction d’Hydro-Québec, de ne pas considérer la relance du réacteur nucléaire situé près de Trois-Rivières. C’est du moins ce que soutient le nouveau patron de la société d’État, béni par l’onction du gouvernement de François Legault.
Mais qui donc sont les vrais « irresponsables » dans ce dossier ?
Cette nouvelle, majeure, s’est trouvée tamisée sous les fleurs qui composent l’ordinaire du bouquet fané des actualités d’été. Elle n’est pourtant pas sans graves conséquences. Le seul fait que Québec se mette de nouveau à flairer du côté du nucléaire, en considérant relancer la centrale Gentilly II, a de quoi faire frissonner. Quand sera-t-on capable, enfin, de penser la vie sur Terre dans sa totalité ?
Dès sa nomination à la tête d’Hydro Québec, Michael Sabia a laissé tomber, dans une entrevue accordée à Patrice Roy, à Radio-Canada, qu’il n’est pas du tout opposé à l’idée de lorgner du côté du nucléaire. Puis, Pierre Fitztgibbon, le ministre aux gros chiffres, déclare de son côté, comme par hasard, qu’il considère lui aussi ouvrir la porte au nucléaire.
Pierre Fitztgibbon va jusqu’à affirmer, en mêlée de presse, être « intellectuellement » favorable au nucléaire. Il compte à l’évidence au nombre de ceux qui soutiennent que la fission nucléaire offre une faible « empreinte carbone », comme il le dit. Cela est vrai, assurément. À condition, bien entendu, de se fermer d’abord les yeux devant tout ce que cela implique en matière d’extraction de matières premières, de gestion à haut risque et de productions de déchets hyper dangereux qui doivent être stockés pour l’éternité.
Le supposé côté vert du nucléaire, qui fait débat partout, est tartiné gaiement sur le dos des populations. Les adeptes de la croissance verte ne font qu’habiller au goût du jour les mêmes lubies d’antan, sans se donner la peine de repenser pleinement leur mode de développement. Ils promettent ni plus ni moins de continuer à produire comme avant, quitte à minimiser les aspects tragiques du nucléaire.
Envoyé sur le front des médias pour considérer à nouveau la filière nucléaire au pays du Caquistan, le député de Nicolet-Bécancour, Donald Martel, s’est expliqué au journal de la télévision d’État. À titre d’adjoint parlementaire du ministre Fitzgibbon, le député a évoqué sa fierté de savoir que quelque 900 emplois dans sa région pouvaient être liés au nucléaire. Le député affirme n’avoir jamais digéré la fermeture de la centrale Gentilly II. « Ce que je n’ai jamais accepté, c’est qu’on prenne une décision aussi dogmatique à l’époque : 900 emplois. » Et d’ajouter qu’« il y avait une espèce de fierté » à l’égard du nucléaire, « notamment dans la collectivité de Gentilly ». Je suppose que durant l’été, comme tout le monde, le député est allé voir le film Oppenheimer, histoire d’entrevoir les bas-côtés de cette fierté plutôt mal placée en regard de l’histoire.
En 2012, au moment de la fermeture de la centrale Gentilly II, les coûts de sa réfection étaient estimés à 7 milliards de dollars, soit l’équivalent de 9 millions de dollars pour sauver chacun des 800 emplois directement touchés, affirmait à l’époque Jean-Martin Aussant, l’ex-député du coin devenu chef de la formation Option nationale. Si 1 million avait été offert à chaque travailleur touché pour le dédommager, avait lancé Aussant dans un débat, ce sont tout de même 6,2 milliards de dollars qui seraient restés à disposition de l’État pour s’engager dans le développement d’autres formes d’énergie qui ne risquaient pas de se retourner contre nous.
Sans danger, le nucléaire ? Vraiment ? À compter de 2003, avec en tête le spectre de l’accident de Tchernobyl, la Santé publique du Québec s’est mise à distribuer des pilules d’iode à la population située au pourtour du site nucléaire de Gentilly. Officiellement, il s’agissait de « protéger la santé », tout particulièrement « la santé de la glande thyroïde, contre la radiation nucléaire en cas d’accident majeur à la centrale de Bécancour », rapportait Le Nouvelliste, le quotidien local. Pour protéger « la santé », n’aurait-il pas été plus conséquent d’écarter d’emblée un tel projet de développement nucléaire ?
Au fil des ans, quelque 3000 résidents de Trois-Rivières, de Bécancour et de Champlain ont reçu, à intervalles réguliers, des capsules d’iode à plusieurs reprises, jusqu’en 2012. Ils étaient de surcroît conviés à des réunions afin de considérer la planification du pire qui pouvait survenir.
La pilule d’iode, leur disait-on, constituait un moyen efficace pour prévenir l’irradiation de la glande thyroïde et au moins un type de cancer en cas d’accident nucléaire. Il ne restait plus ensuite, en cas de catastrophe, qu’à quitter les lieux, à tout laisser de côté. N’était-ce pas déjà beaucoup payer que de seulement avoir à le considérer ?
Comment vit-on dans un monde irradié ? Allez le demander à cette humanité morte sous les radiations. Ce monde dont le film Oppenheimer ne parle pas, en réduisant tout, comme nous le faisons si bien aujourd’hui, à la vie de petits individus qui s’accordent le droit de décider de l’avenir du monde, de l’avenir de la vie même.
« Il serait irresponsable à ce moment-ci d’exclure certaines filières énergétiques et prématuré de tirer des conclusions », a déclaré Hydro-Québec. C’est cette même logique tordue qui voit le Royaume-Uni se lancer à corps perdu dans le forage pétrolier, à l’heure où la planète est à suffoquer. Vouloir persuader autrui que le fait de regarder la vie avec une telle légèreté tient d’une manifestation de responsabilité a de quoi lever le cœur.
Par Jean-François Nadeau, publié le 14 août 2023
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