Le modèle de régulation des prix du nucléaire, qui devrait préserver les usagers de la volatilité des prix de l’électricité et déterminer le coût de financement des futurs réacteurs, devra être défini d’ici à la fin de l’année, a affirmé la présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), Emmanuelle Wargon, ce jeudi 14 septembre. Mais à moins de trois mois de l’échéance, le sujet se transforme en véritable sac de nœuds. Car l’État français, désireux d’avancer vite, se heurte à l’opposition de la Commission européenne. Mais aussi d’EDF, qui ne compte pas se laisser imposer n’importe quelle condition au motif de la protection du pouvoir d’achat des consommateurs.
C’est une course contre la montre qui s’est engagée, à Paris comme à Bruxelles, sur le futur schéma de régulation des prix du nucléaire. Car ce sujet crucial pour la France devra être tranché, sur le principe, dans moins de trois mois, alors qu’EDF compte sur un cadre clair pour prolonger son parc et assurer un modèle économique viable à ses futurs réacteurs. « La volonté, c’est qu’un modèle soit défini et partagé d’ici à la fin de l’année », a ainsi affirmé Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), ce jeudi 14 septembre. Un calendrier confirmé par de nombreuses sources informées, chez EDF comme ailleurs.
Si ce dossier s’avère très technique, il n’en reste pas moins concret, puisqu’il déterminera le prix de l’électricité payé par les consommateurs, alors que les cours restent très élevés sur les marchés. Mais aussi le coût de financement pour la construction des prochaines centrales, lequel affectera forcément la facture des citoyens.
À la recherche de la formule magique
Et pour cause, ceux-ci sont aujourd’hui préservés de la volatilité du marché, en partie du moins, par l’ARENH (accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Ce mécanisme a été mis au point il y a une dizaine d’années, dans le cadre de l’ouverture à la concurrence voulue par l’Union européenne, pour faire profiter chacun de la « rente » du nucléaire français, étant donné que les coûts de construction du parc avaient été amortis. Avec cet outil, l’État impose ainsi à EDF de vendre une partie de sa production (100 térawattheures) à ses concurrents au prix fixe de 42 euros le mégawattheure (MWh), ce qui l’empêche de dégager des marges sur ces volumes en cas d’augmentation des prix de vente sur les marchés. Un prix qui ne reflète plus ses coûts de production, et a largement contribué à sa dégradation financière.
Seulement voilà : cet instrument qualifié de « poison » par l’ancien PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, doit tirer sa révérence d’ici à fin 2025. Alors, pour lui trouver rapidement un remplaçant, l’exécutif s’active. Et cherche la formule magique, permettant à la fois de protéger les consommateurs de prix trop élevés, de donner de la visibilité à long terme à ces derniers comme à EDF, mais aussi de permettre à l’électricien historique d’investir massivement pour le prolongement, puis le renouvellement de son parc atomique.
Le Parlement et la Commission s’opposent à un prix plancher sur le nucléaire existant
Déjà épineux, l’exercice se heurte aux fourches caudines de Bruxelles : alors que le gouvernement espérait recourir à un mécanisme prêt-à-l’emploi pour réguler les prix du nucléaire, appelé « contrat pour différence » (CfD), la Commission européenne se montre très réticente. Et pour cause, il s’agirait là de définir, dans le cadre d’un deal signé entre EDF et l’État, un prix plancher pour la vente des MWh issus des centrales existantes d’EDF. Si les prix de marché venaient à passer en-dessous de ce fameux prix, la puissance publique comblerait la différence auprès d’EDF, afin de lui éviter des pertes. « C’est une ligne rouge pour la Commission », glisse à La Tribune une source interne.
« Celle-ci ne veut pas faciliter la position française sur le nucléaire historique », ajoute le spécialiste du marché de l’électricité Jacques Percebois.
Et la Commission n’est pas la seule à faire barrage : alors que les États membres planchent actuellement sur la question en conseil de l’UE, sous présidence espagnole (elle-même opposée à cette idée), le Parlement européen a d’ores et déjà voté contre, malgré la pression de la France. Résultat : le dossier piétine, au grand dam de Paris.
« La discussion au niveau communautaire dépasse la seule question technique, pour devenir un débat plus politique sur la place du nucléaire en Europe », a pointé jeudi Emmanuelle Wargon.
Un prix plafonné à 120 euros le MWh ?
Comme si ce n’était pas suffisant, le sujet suscite également d’intenses tractations au niveau national, entre l’État et EDF. Car pour faire valoir ses intérêts, ce dernier cherche à imposer sa propre régulation du marché. « EDF veut bien des CfD sur le nucléaire existant, mais il ne veut pas qu’ils soient obligatoires », note une source proche du dossier à Bruxelles.
Plutôt que la recherche du coût le plus bas possible pour le consommateur, EDF espère ainsi surtout éviter un système similaire à l’ARENH, et tente ainsi d’obtenir un prix de vente de son électricité nucléaire bien supérieur à 42 euros le MWh. Malgré l’importance de cette question, le gouvernement brille néanmoins par son manque de transparence : alors que la CRE lui a remis hier un rapport sur le coût du nucléaire existant, aucun élément n’a encore été rendu public.
Vraisemblablement, EDF plaide plutôt pour que ce prix flirte autour de 100 euros le MWh, avec une proposition de plafonnement à 120 euros le MWh. Le but : lui permettre de dégager une marge suffisante afin d’investir dans le futur parc, et attirer les investisseurs. « EDF est prêt à s’endetter s’il bénéficie d’un cadre qui lui garantit qu’il va récupérer la mise. S’il vend au marché sans savoir à l’avance à quel prix, les prêteurs vont forcément se montrer réticents », explique Jacques Percebois.
EDF cherche à mener la danse
Et pour sécuriser ce prix sur le long terme, EDF ne compte d’ailleurs pas que sur l’État, loin de là. Réticent à l’idée de s’enfermer dans un cadre rigide aux conditions définies par l’exécutif, l’énergéticien (dont l’État a récemment acquis 100% du capital) s’active pour multiplier les Power Purchase Agreement (PPA), des contrats de droit privé conclus avec de gros clients, à l’instar de fournisseurs alternatifs (type TotalÉnergies) ou d’industriels électro-intensifs.
« Leur ligne, c’est qu’ils seraient prêts à signer des contrats de gré à gré sur 5 ans avec des PME, et sur 10 ans avec de gros énergivores », précise Jacques Percebois.
Enfin, EDF a proposé il y a quelques jours une autre option : les PPA avec mise aux enchères. Comme nous l’expliquions le 7 septembre, il s’agirait en fait de permettre aux fournisseurs alternatifs essentiellement, mais aussi aux traders et aux grosses entreprises, d’acheter dès la mi-septembre des mégawatts pour chaque heure de l’année 2027 et 2028 sur un marché parallèle dans lequel seraient injectés des volumes d’électricité nucléaire. Cette action n’est actuellement pas possible sur le marché de gros (qui n’est pas accessible aux particuliers et aux entreprises classiques), où la très grande majorité des contrats se négocie pour 2026 au plus tard.
L’objectif serait donc de faire émerger un marché de moyen terme, qui n’existe pas aujourd’hui, et de créer de la liquidité sur ce marché. « Avec cette nouvelle proposition, EDF veut montrer qu’il fera jouer la concurrence, puisque ce ne sera pas lui qui imposera directement le prix de vente. Ce qui devrait plaire à Bruxelles », note Jacques Percebois. L’électricien historique fixera cependant un prix de réserve confidentiel, en-dessous duquel il ne négociera pas. Pas de doute : pressé de fermer définitivement le chapitre ARENH, EDF ne compte plus se laisser imposer des conditions allant à l’encontre de ses propres intérêts.
Par Marine Godelier , publié le 14 septembre 2023 à 17h34
Photo en titre : Crédit STÉPHANE MAHÉ
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