Le physicien Harry Bernas brocarde le brouillard qui entoure la prise de décision politique sur le nouveau nucléaire et en détaille les impasses techniques et industrielles à l’heure où tout doit être repensé à l’aune du changement climatique
Ça fait du bien. Découvrir un ouvrage sur le nucléaire aussi argumenté, aussi documenté, nous extirpe de la sempiternelle guéguerre entre les bons et les méchants, les rêveurs et les réalistes. Entre « le nucléaire, c’est mal » d’un côté, et « le nucléaire, c’est merveilleux » de l’autre, une bien pauvre présentation qui n’aide guère le citoyen à l’heure où les passions s’aiguisent sur le programme EPR2 – le nouveau réacteur issu du dessin initial de l’EPR construit à Flamanville, dans la Manche – vanté par Emmanuel Macron.
N’allez pas en conclure que le livre de Harry Bernas est « neutre ». Physicien, ancien directeur du Centre de sciences nucléaires et de sciences de la matière (CNRS/Université Paris-Saclay), l’auteur a publié l’an passé « L’Île au bonheur », un récit personnel qui met en lumière la façon dont les hommes au pouvoir ont réussi la transmutation : avec le nucléaire, ils ont créé un objet politique à partir d’un sujet purement scientifique.
En décidant la mise en chantier de six EPR2, le modèle évolué du réacteur français, et en suggérant que huit autres suivront, le chef de l’État rompt avec l’indécision politique qui prévalait depuis quinze ans sur le sujet
« Les Merveilleux Nuages », une référence baudelairienne, est du même métal. Il soupèse l’intention de la France de se doter à moyen terme de six EPR2 et d’une flopée de SMR, des petits réacteurs modulaires qui pourraient être déployés sur des sites industriels. L’analyse est impitoyable. « La dose d’impréparation qui semble avoir présidé à ce programme interroge », écrit l’auteur.
L’insouciance du politique
L’exécutif actuel s’intègre dans la longue chaîne des atermoiements constatés au plus haut niveau de l’État. « On savait bien, lors de leur construction dans les années 1970-1980, que les réacteurs nucléaires ne seraient pas éternels. Prévoir de les remplacer, et de quelle manière, n’était une question ni sournoise, ni incongrue. Ne pas y répondre, c’était aller au-devant d’une crise énergétique majeure, donc aussi sociale et politique. Nous y sommes », pose Harry Bernas.
Harry Bernas : “ « On savait bien, lors de leur construction dans les années 1970-1980, que les réacteurs nucléaires ne seraient pas éternels.” Jérôme Panconi
La réponse apportée par Emmanuel Macron ne trouve pas vraiment grâce à ses yeux. Le contexte dans lequel on construirait six EPR2 est radicalement différent de celui qui prévalait il y a cinquante ans. EDF et Orano (ex-Areva) sont devenus des entreprises financiarisées quand elles étaient des outils de puissance industrielle. Les savoir-faire ont disparu, la formation et le recrutement des compétences sont un enjeu colossal, la France est un pays qui a perdu ses usines. « Les prix et les délais annoncés sont des promesses qui n’engagent, selon le mot célèbre, que ceux qui y croient », juge l’auteur.
Rien n’est prêt
Les SMR sont également plombés par une tare originelle : rien n’est prêt. Leur concept s’appuie sur le vieux réacteur qui permet la propulsion nucléaire des sous-marins. Mais le mettre à terre sera très compliqué. Il faudra, au bas mot, entre dix et quinze ans et beaucoup d’argent, évalue Harry Bernas. Avec des problèmes de sûreté rémanents.
Est-ce la meilleure voie dans un monde aux certitudes éparpillées par la rapidité du changement climatique ? La physique nucléaire des origines ne portait-elle pas d’autres promesses ?
« Les merveilleux nuages, que faire du nucléaire ? », de Harry Bernas, éd. Seuil, 160 p., 15 €, 10,99 €.
Par Jean-Denis Renard (), publié le 30/09/2023 à 8h00.
Photo en titre : Dans les entrailles du bâtiment réacteur de l’EPR de Flamanville, dans la Manche, en 2016. Sept ans après, l’unité n’est toujours pas opérationnelle. © Crédit photo : AFP PHOTO/CHARLY TRIBALLEAU
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