Le Japon entame la deuxième phase du rejet en mer des eaux traitées de la centrale accidentée en 2011 de Fukushima. Un projet qui empiète sur la crise sino-japonaise et qui vient de nouveau mettre à mal les pêcheurs de la région.
C’est le 5 octobre que débute la seconde phase de rejet en mer des eaux traitées de la centrale nucléaire de Fukushima au Japon. La première a commencé il y a un mois et l’opération devrait s’étendre jusqu’à 2050, pour verser au total 1,3 million de m3 d’eau, soit l’équivalent de 540 piscines olympiques.
Le feu vert a été donné le 4 juillet dernier par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), qui a jugé l’opération sans risque pour l’environnement et pour la santé humaine. Une opinion qui n’est pas partagée par Kolin Kobayashi, journaliste japonais et militant antinucléaire.
Pour lui, d’autres solutions permettaient de faire face à la saturation des citernes de stockage de l’eau usée : « Le coût des cinq options variait entre 21.7 millions et 2.4 milliards d’euros, il a simplement été choisi la moins chère ». Pour le journaliste, « le meilleur moyen reste de les solidifier au mortier et de les gérer en surface ».
62 des 64 éléments radioactifs éliminés
Kolin Kobayashi explique également que d’autres sites nucléaires, notamment celui de Sellafield au Royaume-Uni ou l’usine de retraitement de La Hague en France (Manche), rejettent chaque année des quantités d’eau contaminée par le tritium plus importantes que celles provenant de Fukushima, « dans ces conditions, si le Japon avait décidé de ne pas rejeter l’eau contaminée, d’autres états dotés du nucléaire civil auraient été mis en difficulté ». Selon lui, « ils refusent de considérer les effets à long terme des faibles doses de radiation. »
Avant d’être rejetée dans la mer, l’eau est traitée par une technique de décontamination dite ALPS (système avancé de traitement des liquides en anglais) qui permet d’éliminer 62 des 64 éléments radioactifs présents dans les effluents. Cependant, elle ne supprime pas le carbone 14 et le tritium.
Kolin Kobayashi alerte justement sur ce dernier élément qui, pourrait, selon lui, se transformer en tritium organique dans le corps humain et endommager les gènes. Un discours contraire à celui de l’AIEA et des autorités japonaises, qui affirment que l’eau fortement diluée contient des niveaux de tritium bien inférieurs aux niveaux de sécurité, et ne présente aucun danger.
Des conséquences économiques et géopolitiques
Ce projet de versement des eaux usées dans la mer a été diversement accueilli à l’étranger. La Commission européenne a déclaré à la mi-juillet que les restrictions à l’importation du Japon seraient entièrement levées. Car, depuis la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011, certaines importations comme le poisson sont soumises à des certificats vérifiant les niveaux d’isotopes radioactifs.
La Chine rivale a, pour sa part, suspendu fin août toutes ses importations de produits de la mer japonais, alors que son marché (Hong Kong inclus) représentait 42 % des exportations du secteur nippon en 2022. Une rupture importante qui s’inscrit dans la crise sino-japonaise.
Ce projet suscite une certaine inquiétude également du côté de la Corée du Sud et des petites îles du Pacifique. Selon Kolin Kobayashi, la Russie « critique, (elle), l’absence de consultation préalable et annonce qu’elle renforcera ses inspections des importations ».
Mais encore une fois, c’est du côté des plus précaires que les conséquences se font le plus ressentir. Les pêcheurs craignent que les atteintes à la réputation de leurs marchandises ne s’étendent, notamment depuis que leur poisson est qualifié de radioactif. Les syndicats de pêcheurs de tout le pays s’opposent donc obstinément au projet et ont porté plainte contre le gouvernement le 8 septembre dernier.
Le premier ministre, Fumio Kishida, s’est récemment déplacé à Fukushima mais ne leur a pas rendu visite.
Pourtant il a tout de même déclaré, à tort, que ces derniers comprenaient mieux la situation.
Fin août, il s’est exclamé après avoir mangé du poisson de Fukushima : « c’est très bon ! ». Presque un soutien ?
Par Honorine Letard, publié le 4.10.23 à 17h58
Photo en titre : Le Japon va rejeter des eaux traités en mer jusqu’en 2050. © AFP/Kazuhiro Nogi
https://www.humanite.fr/environnement/centrales-nucleaires/fukushima-le-rejet-des-eaux-de-la-centrale-nucleaire-continue-de-diviser
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