Alors que la France mise tout sur la relance du nucléaire, Greenpeace publie ce mercredi un rapport qui démontre l’inefficacité de ce choix pour réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre. Pour le même montant que le coût de construction des 6 EPR 2 (actuellement évalué à 52 milliards) annoncés par le chef de l’État, l’éolien terrestre et le photovoltaïque feraient bien mieux. Et plus vite.
Un été qui n’en finit plus. Alors que Météo France a classé le trimestre juin/août 2023 au quatrième rang des étés les plus chauds depuis 1900, avec une température moyenne de 21,8 degrés (+ 1,4 degré par rapport à la période 1991/2020), le mois de septembre a enregistré des températures très supérieures à la normale : au moins de 3,5 degrés. Et l’institut public annonce un début octobre marqué par des valeurs toujours très élevées sur une bonne partie du pays.
Enjeux chiffrés
Manifestation directe du changement climatique d’origine anthropique, cette poussée sonne comme un rappel à l’urgence de décarboner les économies le plus rapidement possible. L’objectif est connu : réduire massivement les émissions de gaz à effet de serre (GES) pour limiter la hausse de la température moyenne du globe à 2 degrés, par rapport à l’ère préindustrielle. Cela impose en Europe une diminution de 55 % des émission de GES en 2030 (par rapport à 1990), pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
C’est dans ce cadre que doivent s’apprécier les politiques nationales, mises en œuvre dans chaque pays pour réduire leurs émissions. Pour le moment, la France est loin de figurer au rang des meilleurs élèves. Si l’année 2022 a marqué une baisse de 2,7 % des émissions de GES (chiffre provisoire), le ministère de la Transition écologique a reconnu qu’il fallait maintenant aller deux fois plus vite pour atteindre l’objectif des – 55 % en 2030.
Sur les 403 millions de tonnes de GES émises par la France l’an dernier, c’est bien évidemment l’utilisation des énergies carbonées (pétrole, gaz, charbon) qui pèse le plus lourd : plus des deux-tiers. S’en passer passe donc par deux politiques : recourir aux énergies vertes ou bas carbone partout où cela est possible et réduire les émissions du secteur résidentiel-tertiaire (environ 15 % des émissions de GES).
Alors que les énergies fossiles représentent encore plus de 60 % de l’énergie consommée en France, leur remplacement et la réindustrialisation du pays promise par l’État devraient induire une forte croissance de la demande d’électricité. Selon les prévisions de RTE, la consommation d’électricité devrait ainsi atteindre entre 580 et 640 TWh en 2035, contre 460 TWh en 2022.
Atomic Manu
Mais si la quasi-totalité des grandes économies mondiales ont fait le choix de développer les énergies renouvelables (éolien et photovoltaïque), la France, tel un petit village gaulois, continue de résister et de s’accrocher à son nucléaire. Depuis le 10 février 2022 et son discours de Belfort, le pays sait que la « transition énergétique » doit pour Emmanuel Macron passer principalement par la relance du programme électronucléaire et, accessoirement, un peu d’énergies vertes.
Le 8 décembre 2020, le chef de l’État en déplacement au Creusot pour visiter l’usine Framatone réaffirme sa foi dans le nucléaire. Image Présidence de la République
Dans son discours prononcé en pleine campagne présidentielle, l’hôte de l’Élysée annonçait dans un premier temps la construction de 6 réacteurs nucléaires EPR2 (une version simplifiée de l’EPR de Flamanville), suivie par celle de 8 autres réacteurs de même modèle.
Le coût de construction des 6 premiers a été estimé à environ 52 milliards d’euros, mais ce chiffre devrait être revu à la hausse, ne serait-ce que pour tenir compte de la forte inflation qui frappe l’Europe depuis le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Mais voilà, si EDF parvient à tenir son planning, les deux premiers exemplaires, qui doivent être construits à Penly (Seine-Maritime), ne seront livrés qu’à partir de 2035–2037. Les quatre autres réacteurs (à Gravelines dans le Nord et au Bugey dans le Rhône) seront ensuite livrés, un par un, tous les deux ans. Pour participer à la décarbonation du pays d’ici à 2030, c’est donc raté.
Sur leur impact sur la baisse des émissions de GES d’ici à 2050, on ne peut pas non plus estimer qu’il sera très significatif vu la date supposée d’entrée en service de ces nouveaux réacteurs. Mais le gouvernement n’ayant toujours pas présenté d’étude d’impact, remettant aux calendes grecques sa future loi énergie climat, difficile d’en savoir plus.
La piscine du bâtiment réacteur de Flamanville 3. Image EDF
Greenpeace décarbone plus vert
Difficile mais… pas impossible. C’est même tout le travail que vient de réaliser Greenpeace dans une étude fouillée sur la décarbonation de la France, publiée ce mercredi 4 octobre. Au départ de cette étude, une question qui parait de bon sens : quel serait le résultat sur la décarbonation si la France, au lieu de dépenser 52 milliards dans un nouveau parc nucléaire, investissait le même montant sur les énergies renouvelables ? À l’arrivée, les résultats ne laissent aucune place au doute : le nucléaire est bel et bien inefficace face aux énergies vertes pour participer à la décarbonation de la France.
Pour couper court aux mauvaises polémiques et procès d’intention que les pronucléaires vont tenter de lui faire, l’ONG internationale s’est appuyée sur les hypothèses arrêtées par RTE, la filiale d’EDF responsable de l’équilibre offre-demande d’électricité, dans sa très complète étude Futurs énergétiques 2050. Publiée à l’origine à l’automne 2021, elle vient d’être revisitée pour la période allant jusqu’à 2035. Cela vaut notamment pour les facteurs de charge (le rapport entre la production réelle et la capacité de production théorique) retenus par RTE pour les trois grandes énergies : nucléaire, éolien terrestre, photovoltaïque.
Dissoudre l’atome dans le vent, le soleil et le logement
Sur les 52 milliards d’euros de départ, Greenpeace propose d’allouer 60 % à l’éolien terrestre – que Pauline Boyer, chargée de campagne Transition Énergétique, estime plus rapidement déployable que l’éolien off-shore – et 40 % au photovoltaïque (uniquement en grande toiture). Un tel investissement permettrait d’installer sur une dizaine d’années 26,5 GW de puissance en éolien et 22,2 GW en photovoltaïque. Et cet outil produirait en cumulé 1 538 TWh d’électricité d’ici 2050, contre seulement 530 TWh pour les 6 EPR2. Surtout, l’impact sur les émissions de GES d’un programme renouvelable est très nettement supérieur à celui du nucléaire : il permettrait d’éviter quatre fois plus d’émissions de GES que l’atome.
Dans la seconde partie de son étude, l’organisation militante se pose une autre question, tout aussi évidente : combien coûterait un programme de rénovation à la norme BBC du parc de logements classés comme passoires énergétiques (les classes F et G) ? Et quel serait l’impact sur les émissions de GES ? Là aussi, les résultats ne laissent aucun doute sur l’intérêt et l’efficacité de tels choix.
Pour rénover ces logements – on en dénombre environ 5 millions, qui génèrent 27 % des émissions nationales de GES – et les ramener aux bonnes normes, le coût est estimé à 169 milliards d’euros, dont 85 milliards pourraient être financés par des subventions publiques. Ainsi, en passant de quelques dizaines de milliers de rénovations (le rythme actuel) à 700 000 par an de partir de 2030, l’ensemble des passoires thermiques serait remis à niveau vers 2033.
Cette politique permettait d’économiser 156 MtCO2eq d’ici 2050, soit six fois plus que le nucléaire. Autres intérêts, 12 millions de personnes sortiraient de la précarité énergétique et 19 TWh d’électricité seraient économisés d’ici 2030. Sans oublier les effets positifs sur le pouvoir d’achat et la santé des personnes.
Le président de la République Emmanuel Macron détaille ses annonces sur la transition écologique le 25 septembre dernier.
Image BFM-TV
Au final, l’étude de Greenpeace démontre si besoin qu’il existe une autre politique énergétique possible et, par reflet, l’erreur majeure d’un Emmanuel Macron qui s’obstine à voir dans le nucléaire l’alpha et l’Omega de la sienne. Quel(s) argument(s) le président va-t-il pouvoir maintenant inventer – et avec lui les accros à l’atome – pour justifier son refus d’engager une transition énergétique réelle, reposant sur les énergies renouvelables, la chasse aux passoires thermiques et la sobriété ? La réponse n’est pas garantie. En macronie, on s’est habitué à tout. Même au pire.
Par Thierry Gadault, publié le 04 octobre 2023
Photo en titre : En juin 2020, Emmanuel Macron avait reçu les membres de la convention citoyenne dans les jardins de l’Élysée. Image Présidence de la République
https://www.blast-info.fr/articles/2023/decarbonation-le-nucleaire-a-la-ramasse-8SCwW0R0SnWl8_ttXhKvmQ
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