L’électricien français a commencé à remettre son offre ferme au gouvernement tchèque. Il est en concurrence avec l’Américain Westinghouse et le sud-coréen KHNP. Alors que l’appel d’offres concernait initialement un réacteur de type EPR, Prague pourrait finalement se prononcer sur la construction de quatre nouvelles tranches nucléaires au total. C’est ce à quoi pousse EDF, qui mise sur son offre 100% européenne pour l’emporter.
Dernière ligne droite pour EDF. Après avoir remis une première offre préliminaire en novembre 2022, l’électricien tricolore a débuté cette semaine la remise de son offre ferme pour la construction d’un, voire quatre réacteurs nucléaires de type EPR, d’une puissance de 1.200 mégawatts (MW) chacun en République tchèque. Le groupe français joue donc les bons élèves et rend sa copie avant l’heure car, en principe, les trois entreprises en lice (EDF, le groupe américain Westinghouse et le sud-coréen KHNP) ont jusqu’au 31 octobre prochain pour remettre leur offre. Mais cette échéance est le résultat d’une demande de report de Westinghouse. La date initiale, elle, avait été fixée au 2 octobre.
« Nous nous étions organisés pour être prêts le 2 octobre et nous sommes venus expliquer à nos collègues tchèques et à notre partenaire ČEZ [l’exploitant nucléaire en République Tchèque, ndlr] que nous étions prêts pour commencer le processus de remise de notre offre, qui va s’étaler d’ici à la fin du mois, expose Vakis Ramany, directeur du développement nouveau nucléaire à l’international pour EDF, depuis Prague. Notre objectif, c’est de construire une relation de confiance avec le gouvernement tchèque et ČEZ et de créer un espace de dialogue pour se donner les meilleures chances d’être sélectionnés », poursuit-il.
Un réacteur, plus trois en option
La République tchèque exploite déjà six réacteurs sur son territoire. Quatre sont situés sur le site de Dukovany et deux autres sur celui de Temelin. Ce pays, dont le mix électrique repose encore largement sur le charbon (40,8 %), entend significativement augmenter la part du nucléaire dans son bouquet de production électrique, aujourd’hui déjà établie à 37,5%.
L’appel d’offres, lancé en mars 2022, concerne une demande d’offre ferme pour un réacteur sur le site de Dukovany et une offre indicative pour trois réacteurs supplémentaires, dont un additionnel sur le site de Dukovany et deux sur celui de Temelin. De son côté, EDF pousse pour que le gouvernement tchèque se prononce d’emblée sur une flotte de quatre réacteurs et non un uniquement. La sélection du candidat devrait être annoncée au plus tard au printemps prochain, mais l’électricien tricolore espère une réponse plus tôt, l’étude des différentes offres étant déjà bien entamée en raison des remises préliminaires en novembre 2022.
Une offre 100% européenne
Le groupe, dont 100% du capital est désormais détenu par l’État, mise sur le contexte géopolitique et les enjeux de souveraineté énergétique, exacerbés par la guerre en Ukraine, pour tirer son épingle du jeu face à ses concurrents.
« Notre offre est indépendante, toute la propriété intellectuelle se situe au sein même du groupe EDF et de sa filière. Elle repose aussi sur des fournisseurs 100% européens », fait valoir le directeur du nouveau nucléaire à l’international. « Dans notre proposition, nous mettons aussi en avant la valeur ajoutée pour le pays hôte. Par exemple, pour Hinkley Point C [dans le Somerset en Angleterre où EDF construit actuellement deux EPR, ndlr] 64% de la valeur du projet se situe au Royaume-Uni », précise Vakis Ramany.
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Dernier argument avancé : les effets de synergie. « L’idée est de faire bénéficier les Tchèques des synergies entre nos différents programmes. Nous pouvons partager l’expérience de la phase de développement-construction. Et, c’est encore plus vrai pour la phase d’exploitation », assure Vakis Ramany. EDF se vante ainsi de compter plus de « 2.000 années réacteurs d’expérience » en l’espace de 50 ans, qui correspond au nombre de réacteurs multiplié par leurs années d’exploitation.
« Autrement dit, pour un exploitant qui n’aurait qu’un réacteur, 2.000 années d’exploitation lui seraient nécessaires pour arriver à notre niveau d’expérience », illustre Vakis Ramany.
Westinghouse dans les starting-blocks
Malgré ces atouts indéniables, l’image d’EDF reste largement entachée par les multiples déboires de l’EPR. Celui de Flamanville, ne devrait entrer en service qu’à la mi-2024, avec douze années de retard sur le planning initial. La mise en service de la centrale d’Hinkley Point C, elle aussi, a été maintes fois reportée et est désormais attendue pour 2027. En Chine, les EPR de Taishan, eux, ont bien été mis en service, mais ils ont dû être arrêtés de manière préventive et provisoire pour des problèmes de fluctuations neutroniques. « Il est difficile de vendre aux autres ce qu’on ne sait pas faire chez soi », observe, embêté, un expert du secteur.
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Côté concurrence, le groupe américain Westinghouse a déjà fait un pied de nez à EDF en décrochant, sans passer par un processus d’appel d’offres, la construction d’une première centrale en Pologne, qui songe à bâtir jusqu’à quatre réacteurs supplémentaires. Si la filière nucléaire américaine a, elle aussi, traversé un grand passage à vide, l’administration Biden est bien décidée à revenir sur le devant de la scène. « Plus généralement, les pays d’Europe centrale sont sensibles à faire plaisir aux Américains. C’est de la géopolitique, pointe un autre bon connaisseur du secteur. Les États-Unis présentent deux grands atouts : ils disposent de la première armée du monde et sont à la pointe de l’innovation dans tous les domaines », poursuit-il.
Une flotte d’EPR sur le Vieux Continent ?
Or, EDF mise beaucoup sur les pays d’Europe centrale et cible ainsi la Slovénie et la Slovaquie en plus de la République Tchèque et de la Pologne. L’entreprise table également sur les Pays-Bas, la Suède, la Finlande ou encore l’Italie. « Nous sommes en discussion, à différents stades de maturité, avec tous ces pays pour voir dans quelles perspectives nous pouvons les aider à développer des nouvelles capacités nucléaires », indique Vakis Ramany. L’électricien espère, en effet, développer une véritable flotte d’EPR sur le Vieux Continent, ce qui permettrait de gagner en productivité et donc de diminuer les coûts de construction. « Notre objectif est de positionner l’EPR comme le standard européen autour duquel la supply chain européenne peut s’organiser », avance-t-il. En parallèle, EDF entend aussi déployer son réacteur modulaire Nuward en Europe et à l’international dans la décennie 2030.
Par Juliette Raynal, publié le 05 octobre 2023 à 7h29
Photo en titre : La République tchèque exploite déjà six réacteurs sur son territoire. Quatre sont situés sur le site de Dukovany et deux autres sur celui de Temelin. (Crédits : Lukáš Lehotský – Unsplach)
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