RÉFORME DU MARCHÉ DE L’ÉLECTRICITÉ : LA TENTATION FRANÇAISE DU CAVALIER SEUL

Alors que la France et l’Allemagne continuent de s’affronter sur la réforme du marché de l’électricité, Emmanuel Macron fait valoir la nécessité pour la France de prendre les devants, en régulant seule. Mais pour redistribuer la rente nucléaire, Paris devra obtenir l’aval de Bruxelles.

Officiellement, l’énergie n’est pas au programme du séminaire gouvernemental franco-allemand qui se tient à Hambourg en début de semaine, mais ce sujet sera évidemment au centre des discussions bilatérales.

Et pour cause : à la veille d’un conseil des ministres européens de l’Energie, le 17 octobre, potentiellement décisif pour la réforme du marché européen de l’électricité, la France et l’Allemagne continuent de s’affronter sur le sujet, avec encore une fois au centre du jeu la place de l’énergie nucléaire dans le dispositif.

« Reprendre le contrôle des prix »

Au point que la France nourrit l’idée qu’elle pourrait faire cavalier seul en Europe pour limiter la volatilité des prix de l’électricité pour ses consommateurs. « Nous allons reprendre le contrôle du prix de notre électricité », a fait valoir Emmanuel Macron fin septembre, faisant écho au slogan pro-Brexit qui a fait basculer le Royaume-Uni hors de l’Union européenne.

Au cœur des débats figure l’éligibilité aux fameux « contrats pour différence » de l’électricité produite par les centrales nucléaires d’EDF. La France milite pour que l’électricité nucléaire bénéficie de ces contrats à long terme , aux prix administrés par les États, au même titre que les énergies renouvelables. L’Allemagne lui oppose une fin de non-recevoir pour les centrales nucléaires qui sont déjà en service, au motif qu’un tel mécanisme favoriserait indûment la compétitivité française. « Les investissements sur ces centrales sont largement amortis depuis des années », argumente-t-on à Berlin.

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« Les rendez-vous des prochains jours sont majeurs. Il y a une majorité solide autour de la France pour l’adoption de cette réforme au conseil, mais l’Allemagne a une minorité de blocage », pointe le député européen français Christophe Grudler (Renew, centre) qui dénonce une nouvelle volonté de « discriminer l’énergie nucléaire ».

Officiellement, la France travaille toujours ardemment à faire aboutir la réforme européenne des marchés de l’électricité. Mais compte tenu des incertitudes et des délais pris par ce chantier, le gouvernement d’Élisabeth Borne a pris les devants sur un autre front : la réforme du mécanisme de régulation français des prix de l’électricité nucléaire (l’Arenh). Ceci afin de remplacer le cadre actuel, qui doit s’éteindre très prochainement.

Cette réforme franco-française pourrait aboutir à une loi énergie examinée au Parlement français avant la fin de l’année et la mise en place d’un plafonnement des prix de vente d’EDF à un niveau proche de ses coûts, entre 70 et 80 euros le mégawattheure selon plusieurs sources.

La redistribution de la rente nucléaire en débat

« Cette captation des revenus d’EDF ne constitue pas en soi une aide d’État, elle peut être mise en place indépendamment de la réforme européenne du marché de l’électricité », explique une source proche des pouvoirs publics.

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De quoi fournir aux consommateurs français une stabilisation des prix sur le marché de l’électricité, soit l’objectif visé par la réforme européenne ? Pas tout à fait. Pour y parvenir, le gouvernement français devra aussi définir les modalités de redistribution de cette rente nucléaire prélevée à EDF, pour déterminer quelle part doit revenir aux ménages, aux petites et moyennes entreprises et aux grands industriels.

Paris, qui n’envisage pas un instant de sortir du marché européen de l’électricité, pourrait avoir à demander l’aval de ses partenaires européens. Pour y parvenir, le gouvernement français mise beaucoup sur le cadre que doit poser la réforme européenne des marchés de l’électricité. La menace du cavalier seul français risque donc de faire long feu…

Par Sharon Wajsbrot, publié le 8 octobre 2023 à 10h00

Photo en titre : La régulation française des prix de vente du nucléaire (Arenh) arrive à son terme en 2025. (Pierre Gleizes/REA)

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