PRIX RÉGULÉS DE L’ÉLECTRICITÉ : POURQUOI IL EST TROP TÔT POUR DIRE QUE LES FACTURES DES PARTICULIERS VONT BAISSER

Alors que l’Élysée se félicite d’avoir remporté une « victoire importante » sur le dossier explosif de la réforme du marché de l’électricité, rien n’indique aujourd’hui que les factures des consommateurs particuliers vont baisser. Selon certains observateurs, l’inverse risque même de se produire, alors que le cadre de régulation qui existe aujourd’hui oblige EDF à vendre une partie de sa production à prix cassés. Explications.

La réforme du marché européen de l’électricité va-t-elle alléger les factures des ménages ? C’est en tout cas ce que sous-entend l’Élysée, qui se félicite d’un « nouvel outil pour protéger les consommateurs », après avoir décroché mardi un accord des États membres sur la régulation des prix du nucléaire (qui compte pour 70% du mix électrique du pays). Examiné par les eurodéputés depuis jeudi, le texte permettrait en effet à l’Hexagone de bénéficier dans les prochaines années de tarifs attractifs, en échappant aux cours exorbitants du marché, eux-mêmes dopés par les prix du gaz.

Et pour cause, celui-ci autoriserait la signature de contrats à prix garantis par l’État français (appelés CfD) avec l’exploitant du parc atomique, EDF, afin d’encadrer les tarifs de l’électricité issue des centrales existantes. Les pouvoirs publics pourraient ainsi soutenir financièrement l’énergéticien quand les prix de marché sont trop bas…mais aussi ponctionner une partie de ses marges quand les prix s’avèrent largement supérieurs aux coûts de production, comme c’est le cas aujourd’hui, de manière à les redistribuer aux clients finaux.

Seulement voilà : selon plusieurs observateurs, la mise en œuvre concrète reste pour le moins floue, et n’éloignerait pas le spectre d’une hausse des mensualités pour les particuliers.

« Pas de recette magique »

Car en réalité, il existe déjà aujourd’hui un mécanisme de régulation du nucléaire qui, s’il est loin d’être parfait, est censé préserver en partie les consommateurs de la flambée des prix du marché : l’ARENH (Accès régulé à l’électricité nucléaire historique). Concrètement, ce dispositif permet aux opérateurs autres qu’EDF de lui acheter un certain volume à un prix cassé, à 42 euros du mégawattheure (MWh). En 2022, 68% de la production totale d’EDF a ainsi été vendue à ce prix…ce qui n’a pas suffi à protéger les ménages de la flambée des cours sur le marché liée, entre autres, à la guerre en Ukraine, obligeant l’État à dégainer son fameux bouclier tarifaire.

« Cela montre bien qu’il n’y a pas de recette magique », affirme à La Tribune un analyste de marché.

D’autant que l’idée d’un nouveau tarif encadré à 42 euros/MWh seulement semble définitivement enterrée : alors que l’ARENH expire en 2025, plus personne ne nie que son remplaçant devra garantir un prix de vente bien supérieur à EDF. Au moins égal, en tout cas, à ses coûts de production, lesquels ont monté en flèche ces dernières années. Notamment parce qu’il faut désormais y intégrer les frais du Grand Carénage, ce vaste programme pour prolonger au maximum les installations existantes estimé à 100 milliards d’euros (75 milliards d’investissements et 25 milliards pour l’exploitation).

« On doit s’attendre à une augmentation des factures, car l’ARENH à 42 euros/MWh ne tient plus du tout la route », souligne l’économiste Jacques Percebois, qui siégeait à la fameuse Commission Champsaur de 2009, à l’origine de l’instauration de ce mécanisme.

« Avec un montant à 42 euros le MWh, ça fait longtemps que les gouvernements font croire que l’énergie est moins chère que ce qu’elle est en réalité », abonde un fournisseur d’énergie.

Il y a quelques semaines, le gouvernement a d’ailleurs missionné la CRE (Commission de régulation de l’énergie) pour qu’elle calcule les « coûts réels » du nucléaire en France, qu’elle a finalement estimés autour de 60 euros/MWh. « Cela veut dire qu’on ne peut plus descendre en-dessous ! », précise Jacques Percebois.

Des coûts de production supérieurs au niveau de l’ARENH

Cependant, la hausse du prix garanti par l’État (de 42 euros/MWh à environ 60 euros, donc) pourrait aller de pair avec une augmentation du volume d’électricité cédée à ce tarif. Mais ce scénario risque bien de déplaire à EDF, qui espère vendre une bonne partie de sa production sur le marché, ou dans le cadre de contrats de gré à gré avec des clients finaux, sans encadrement de l’État.

Par ailleurs, la Commission européenne, généralement frileuse à l’idée qu’un acteur en quasi-monopole bénéficie d’une garantie financière de l’État en cas de chute des prix de marché, promet de veiller au grain. « Les CfD […] doivent être conçus de manière à garantir que la répartition des revenus entre les entreprises ne crée pas de distorsions indues de la concurrence et des échanges sur le marché intérieur », peut-on d’ailleurs lire dans le texte approuvé par les Vingt-Sept ce mardi.

« En fait, il manque le principal. On ne connaît ni les niveaux de prix, ni les modalités concrètes, ni si les CfD seront construits de manière à ce qu’EDF soit payé au même prix pour chaque MWh produit… », pointe Emeric de Vigan, vice-président chargé des marchés électricité chez Kpler. « Pourra-t-on mettre tout le nucléaire historique sous CfD ? En l’état, la question reste entièrement en suspens, et la Commission fera attention aux éventuelles distorsions de concurrence », ajoute Jacques Percebois.

Dans ces conditions, le gouvernement pourrait même abandonner l’idée des CfD, au moins dans un premier temps, et leur préférer la mise en place d’un simple prix plafond pour la vente d’une partie de la production d’EDF. « Mais ce serait réintroduire une forme d’ARENH », estime Jacques Percebois. Pour sûr, si la France se targue d’avoir remporté une « victoire importante » avec le compromis trouvé mardi, les inconnues restent encore très nombreuses.

Par Marine Godelier, publié le 20 octobre 2023 à 07h05

Photo en titre : Crédits : CHRISTIAN HARTMANN

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