IL DÉCÈDE SANS AVOIR PU ÊTRE INDEMNISÉ « GRÂCE » À LA NOTION SCANDALEUSE DE « RISQUE NÉGLIGEABLE »

Mort sans indemnitéLe tribunal administratif de Lille examine ce mardi trois dossiers de victimes d’essais nucléaires qui contestent le rejet de leur demande d’indemnisation. Parmi eux Guy Berlivet, de Lumbres, se bat depuis six ans pour être reconnu. Du 1er mars 1966 au 22 mars 1968, Guy Berlivet servait sur l’Anjou, le Guyenne. Il était cuistot sur ces navires ravitailleurs de la Marine, dans le Pacifique, entre Mururoa et Hoa. Précisément à l’endroit et à l’époque où la France procédait à ses premiers essais nucléaires, il y a 50 ans tout juste, de l’autre côté du monde. « On avait 20 ans, on était heureux, un peu inconscient. Tout ce qu’on voyait, c’était qu’on était au milieu du Pacifique, dans un cadre magnifique. » Même les champignons nucléaires – « l’éclair blanc » – ont quelque chose de magique à l’époque. « On n’avait aucun équipement particulier, il n’y avait pas de précautions, j’étais torse nu dans ma cuisine où l’eau de mer rentrait facilement. »

Des années plus tard, le nucléaire n’a plus rien de magique aux yeux de Guy Berlivet. Depuis la fin des années 1990, il souffre d’un cancer de l’œsophage, lui qui revendique n’avoir jamais fumé. À ce titre, et parce que la loi met alors en place en 2010 une commission d’indemnisation pour les victimes d’essais nucléaires, il fait une demande d’indemnisation.

Requête rejetée en 2011, alors que le cancer de Guy figure bien sur la liste des 21 cancers radio-induits et qu’il était bien sur place à la période couverte par la loi. « L’article 4 de la loi Morin pour l’indemnisation introduit la notion de risque négligeable. Les juristes de l’État se sont engouffrés dans la brèche », explique Me Glinkowski, l’avocat de Guy Berlivet.

Le ministère de la Défense considère en effet qu’en tant que cuisinier, son client n’aurait pas été exposé directement. En 2012, il conteste cette décision devant le tribunal administratif de Lille. Le début d’un processus long de quatre ans pour arriver jusqu’à l’audience de ce mardi. Le tribunal peut confirmer la décision de la commission d’indemnisation ou lui demander de revoir sa copie, voire indemniser directement Guy Berlivet. « Je n’ai plus de vie depuis 15ans. Je dors assis, je suis sous médicaments… », soupire l’Audomarois, fatigué d’attendre.

Indemnisation : parcours du combattant

La loi Morin pour l’indemnisation des victimes des essais nucléaires de janvier 2010 aurait dû être une avancée. « Elle est en fait un fiasco », martèle Pierre Marhic, président de l’ANVVEN, une des associations de défense des victimes. « 1 059 dossiers ont été déposés devant la commission d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Nous en sommes à 20 indemnisations. C’est un parcours du combattant, avec des frais de justice à la charge des victimes. »

Le parcours du combattant tourne même au chemin de croix, parfois. Le 6 octobre dernier était examiné au tribunal administratif de Lille le cas de Bernard Bertin, originaire de l’Audomarois. Il est décédé trois jours après l’audience, des suites d’une leucémie. Le 20 octobre, le tribunal ordonnait à l’État de revoir son évaluation du dossier. Décision dont le ministère a fait appel. (NDLR: appel inhumain!!!)

« Souvent, les victimes répondent aux trois critères définis par la loi : avoir été dans la zone géographique des essais, à la période où ils avaient lieu et souffrir d’un des 21 cancers radio-induits », poursuit Pierre Marhic. « Le problème, c’est l’article 4 de cette loi, qui introduit la notion de risque négligeable. La CIVEN introduit un calcul de probabilité qui rend la causalité nucléaire du cancer faible et qui finit par évincer tout le monde, à mon avis pour des raisons budgétaires. 150 000 personnes, militaires et populations locales, sont potentiellement concernées. »

Cet automne, Manuel Valls reconnaissait que le nombre de victimes indemnisées était faible. Un comité de suivi autour de Marisol Touraine a été mis en place. « Il y a une volonté de dialogue, d’assouplir les conditions. Au-delà, c’est une reconnaissance de la Nation qu’on veut, pas être rejetés comme des fauteurs de trouble. »

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