Par Jean-Marie Muller
L’Autrichien Günther Anders (1902-1992) est considéré comme « le » philosophe de l’ère atomique. « La stupeur, écrira-t-il en 1982, dans laquelle m’avait plongé la fameuse nouvelle radiodiffusée du 6 août 1945, je n’ai pas pu, durant de nombreuses années, la surmonter ou m’en défaire par la parole »…
Les hommes sont incapables de se représenter que les armes nucléaires qu’ils ont produites ont introduit dans l’histoire non seulement la possibilité mais la probabilité de la destruction technologique de l’humanité…
Anders crée alors l’expression d’« aveuglement à l’apocalypse ». Ainsi la capacité des hommes de faire et de détruire excède infiniment leur capacité de représentation. Il fallait précisément le caractère proprement inimaginable de la tuerie exterminatrice programmée pour que les hommes ne puissent y prêter attention. Comment imaginer ce que représentent réellement des millions de morts, des millions de meurtres, des millions de crimes ? À la lettre, une telle monstruosité dépasse l’entendement, tellement elle passe les bornes de l’imagination. Par son immensité, une telle destructivité est aveuglante. On ne la voit pas. La possibilité d’un tel désastre reste abstraite et se situe au-delà du bien et du mal. Ce qui est impensable apparaît impossible. Et pourtant, plus que jamais, l’impératif moral demeure pour les hommes lucides : « Il me semble, écrit Anders, que notre époque n’est pas moins que toute autre tenue de mettre sur le tapis les critères de l’exigible moralement, de ce qu’en elle on devrait en réalité faire ou s’abstenir de faire.». La catastrophe de Hiroshima fait peser sur le monde la menace d’une apocalypse provoquée par nous-mêmes. « Ce qui est arrivé est arrivé de manière irrévocable ; et ceci pour la bonne raison que le même événement pourra de toute éternité être voulu à nouveau et provoqué à nouveau». Par leur seule existence, sans même exploser, les armes nucléaires dotées d’un pouvoir de destruction apocalyptique et maintenues prêtes à un usage immédiat portent atteinte à l’humanité de tous ceux qui s’accommodent de ce crime contre la civilisation. Elles transforment les fondements mêmes de notre existence morale. Elles accablent l’existence morale des peuples. La possibilité de l’apocalypse est notre œuvre et chacun de nous doit prendre .conscience de cette responsabilité et de cette culpabilité partagée. Mais nous ne saurions nous y résigner : un tel scandale appelle notre révolte…
La suite sur : http://www.jean-marie-muller.fr/ARTICLES/2016/2016-06-13-Code-moral%20Anders.pdf
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