La décision prise par le conseil d’administration d’EDF de se lancer définitivement dans la construction de Hinkley Point n’est possible que parce que le droit est constamment contourné et qu’en réalité, en France, le nucléaire est hors d’état de droit.
Tout d’abord, ce conseil d’administration est une parodie dans la mesure où les administrateurs soi-disant indépendants qui siègent au conseil, hormis le courageux Gérard Magnin dont le courrier de démission mérite d’être lu par tous, ne devraient pas y siéger en raison des conflits d’intérêts. En effet, soit ils ont fait toute leur carrière dans le nucléaire comme Madame Lewiner et n’ont donc rien d’indépendant par rapport à l’entreprise, soit ils vivent de commandes du nucléaire comme Philippe Crouzet, patron de Vallourec ou Bruno Lafon patron de Lafarge.
Ce conseil d’administration n’aurait pas dû se tenir dans la mesure où la justice doit se prononcer lundi sur la possibilité ou non de traiter de la question centrale des EPR anglais par ledit conseil. De plus, les membres du conseil d’administration n’ont pas été informés correctement sur le contrat qui lierait EDF aux Anglais. Ils ne se sont vus remettre dans un premier temps qu’un résumé de contrat, puis, dans un second temps, n’ont disposé que d’un délai de 24 heures pour prendre connaissance d’un contrat de 5 000 pages en anglais… C’est une violation flagrante des règles de droit destinée à rendre impossible la connaissance exacte du contrat sur lequel les administrateurs devaient se prononcer. Mais peu importe puisque Monsieur Lévy était certain de sa majorité.
» Sans doute, EDF a-t-elle renvoyé au XXIIème siècle le démantèlement de centrales nucléaires pourtant fermées depuis les années 80. »
Ensuite, le projet lui-même est un modèle d’aide d’État à peine déguisé. La Cour des comptes britannique s’est émue récemment de la subvention indirecte à EDF par un prix garanti sur 34 ans représentant globalement quatre fois le prix actuel de l’électricité sur le marché de gros. Un surcoût de 37 milliards d’euros pour le contribuable britannique a été évalué par cette même cour. Si la Commission semble, pour des raisons obscures, avoir validé cette partie de l’aide d’État, rien ne dit que la Cour de justice de l’Union Européenne qui a été saisie aura la même position (mais là encore les règles communes n’existent pas grâce à EURATOM).
Il en va d’autant plus ainsi que l’aide d’Etat vient également et très largement de la France. Une recapitalisation de plus de 3 milliards à laquelle s’ajoutent 8 milliards payés par la Caisse des dépôts pour acquérir 49 % du capital de RTE ce qui est bien évidemment une aide déguisée. Là aussi, la commission aura à se prononcer.
Mais, pour la première fois, la justice française semble mettre également son nez dans les affaires assez troubles d’EDF puisqu’une perquisition s’est déroulée à la demande de l’Autorité des marchés financiers en raison de possibles dissimulations d’informations dont l’objet et l’effet auraient pu être une manipulation des cours de bourse. Car, non seulement EDF a quitté le CAC 40, non seulement son cours de bourse a été divisé par huit, mais encore la réalité des coûts auxquels l’entreprise est exposée pourrait avoir été dissimulée.
» Le mauvais état de notre parc laisse planer les plus grands doutes quant à la réalité du niveau de sûreté atteint aujourd’hui.«
Sans doute, et en violation des règles communautaires comme des règles nationales, EDF a-t-elle renvoyé au XXIIème siècle le démantèlement de centrales nucléaires pourtant fermées depuis les années 80. Cette situation est due à l’absence de provisions constituées par EDF en violation de tous les textes. On rappellera pour mémoire que la Cour des comptes avait demandé au tournant du XXIème siècle que les sommes nécessaires au démantèlement des centrales nucléaires soient provisionnées et affectées à un compte en dehors de l’entreprise. L’État nucléaire avait évidemment et comme d’habitude cédé à EDF et fait en sorte qu’il n’en soit rien. Le résultat des courses est, comme la Commission l’a observé très récemment, que 30% seulement des sommes nécessaires auraient été provisionnées… Et rien ne dit qu’elles soient effectivement utilisables.
Quant à la mise aux normes des centrales dont EDF considère déjà pour acquis qu’elles devront aller jusqu’à 50 ans, la somme de 50 milliards sera très certainement insuffisante et, le mauvais état de notre parc laisse planer les plus grands doutes quant à la réalité du niveau de sûreté atteint aujourd’hui. Mais, peu importe. La bonne fée intitulée Conseil d’État veille. Selon la haute juridiction, les requérants potentiels ne pourront pas attaquer les décisions de prolongation de durée de vie des centrales. En effet, puisque les décisions de création des centrales nucléaires ne fixent pas de délai, les avis de l’autorité de sûreté nucléaire validant les rapports décennaux ne prolongent pas une durée de vie qui n’existe pas….
Que la France viole la convention d’Espoo, la convention d’Aarhus et le droit communautaire peu importe. Pourquoi diable des arguties juridiques quand il s’agit de centrales nucléaires!
En définitive, l’État a accepté de débourser près de 20 milliards d’euros, directement ou indirectement via la Caisse des dépôts pour soutenir le lobby nucléaire. La dette nucléaire est aujourd’hui abyssale, elle ne cesse de croître avec une double conséquence: entraîner notre pays dans une spirale financière délirante et l’empêcher d’entrer réellement dans une transition énergétique qui devient de plus en plus virtuelle.
Signé : Corine Lepage, avocate, ancienne députée européenne Cap21, ancienne ministre de l’Environnement
http://www.huffingtonpost.fr/corinne-lepage/nucleaire-hinkley-point-_b_11245864.html
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