Le coup de froid auquel l’Europe fait face a fait exploser le coût de l’électricité. Une des raisons de cette flambée des prix est la très faible disponibilité du parc nucléaire français. Aucun délestage massif n’a pourtant eu lieu. Le réseau a tenu avec près de 40% des réacteurs à l’arrêt. Pourquoi donc s’acharner à maintenir en activité des machines obsolètes aussi dangereuses ?
L’indécision de la majorité présidentielle en matière de nucléaire est plus que jamais choquante. L’acharnement à concentrer tous les moyens dans le nucléaire, dénoncé par Gérard Magnin il y a quelques semaines sur Médiapart, a des conséquences fatales.
La très faible disponibilité du parc nucléaire détermine une envolée des prix préoccupante et surtout fait peser de lourdes menaces sur la distribution d’électricité. En Suisse cette défaillance de l’industrie nucléaire n’est pas sans inquiéter même si les particuliers ne sont pas encore touchés.
L’électricité se fait rare alors qu’EDF s’apprête à démanteler l’essentiel de ses moyens de production thermique. Et ce ne sont pas les énergies vertes qui peuvent compenser cela. Quoi qu’en disent certains leur développement est largement insuffisant. La si timide Programmation pluriannuelle de l’énergie proposée par le gouvernement ne change pas fondamentalement la donne.
L’État renonce à ses prérogatives et abandonne à EDF la politique énergétique. On a bel et bien affaire à une fuite en avant à rebours des si modestes engagements de campagne du candidat Hollande. De renoncements en renoncements ; la majorité présidentielle a tiré un trait sur la « sortie du tout nucléaire » se contentant d’arrêter Fessenheim sans chercher le moins du monde à préparer l’avenir.
Les raisons de cet acharnement nucléocratique sont connues pour l’essentiel : l’influence de ce qu’il faut bien appeler le lobby nucléaire, la rente nucléaire qu’apporte EDF à Bercy, la bombe, le souci de préserver des situations industrielles acquises à la grande satisfaction de la plupart des syndicats de ce secteur et bien évidemment une fascination très répandue dans l’opinion publique pour la technologie atomique…
Une autre raison toute aussi déterminante est moins connue en dépit d’avertissements anciens du mouvement antinucléaire. Il s’agit de la question du démantèlement. Question au combien compliquée…
En effet, une installation nucléaire même à l’arrêt représente une grave menace pour l’environnement et la santé publique. Le cas très spécifique de Brennilis en Bretagne et celui de Superphénix donnent à voir la complexité de la tâche et son coût exorbitant.
Il faut dire qu’il n’y a pas d’opération plus difficile que de déconstruire une installation qui a accumulé pendant des décennies d’innombrables toxiques radiologiques mais aussi chimique. Non seulement les équipements sont très sévèrement irradiés mais le site nucléaire dans sa totalité est marqué par les rejets et autres pollutions générées par l’exploitation. Les problèmes déjà considérables que l’on rencontre dans l’industrie chimique sont dans le nucléaire démultipliés.
Le démantèlement nucléaire est si difficile, si périlleux, que beaucoup considèrent qu’on pourrait s’en passer. L’impréparation de l’industrie française leur donne largement raison. Et cela d’autant plus que les provisions faites par les exploitants nucléaires sont largement en deçà du nécessaire. On se trouve donc dans une situation pour le moins absurde. Alors que le législateur a gravé dans le marbre le principe du démantèlement immédiat personne ne sait ni ne veut passer à l’acte. Tout fait défaut au point de se demander si on sait vraiment démanteler une centrale nucléaire…
De fait le démantèlement est reporté sin die. Face l’ampleur de la tâche, l’État a dû reconnaître que « le démantèlement immédiat ce n’est pas pour tout de suite… ». Mais c’est surtout EDF qui renvoie aux calendes grecques des opérations nécessaires notamment pour des installations à l’arrêt depuis des décennies. Les considérations économiques sont bien évidemment déterminantes. Et force est de reconnaitre que le budget explose pour EDF alors que l’opérateur énergétique de l’État est bien loin de satisfaire aux recommandations de l’Union européenne.
Et l’on se trouve donc dans une situation des plus absurdes. Faute de capacité et plus encore de résolution pour entamer la considérable tâche du démantèlement, d’aucuns considèrent qu’il est « moins pire » de poursuivre l’exploitation d’un parc nucléaire obsolète et défaillant. On a bel et bien affaire à une sorte de marché de dupe. Puisqu’on ne sait pas démanteler et que c’est dangereux autant persévérer dans le nucléaire… Si cela n’est pas une fuite en avant, je ne sais pas ce que c’est…
Une sorte de pragmatisme naïf semble submerger le débat sur la production d’électricité au grand plaisir des nucléolâtres et autres nucléogogos. Si on les écoute, il serait économiquement responsable de persévérer dans le nucléaire puisqu’on ne sait pas en sortir. Les arguments comptables ne manquent pas pour justifier cette aperception des risques. Les centrales sont amorties depuis longtemps. L’uranium ne coûte pas grand-chose. Et de surcroit EDF bénéficie d’un statut d’exception que beaucoup lui envient. J’en passe et des meilleures…
Reste que cette thèse nucléariste classique prend l’eau de toute part. D’abord chacun sait que le coût humain et environnemental de l’uranium n’a rien à voir avec son évaluation marchande. Ensuite l’acharnement à préparer le renouvellement du parc nucléaire donne à voir clairement des doutes puissants sur la capacité du parc en activité à tenir encore longtemps.
Les chiffres produits par la commission d’enquête parlementaire Brottes-Baupin ne disent pas autre chose. Si le démantèlement est véritable défi, la prolongation du parc est un mur d’investissement, son renouvellement une falaise… En tout cas chacun sait qu’amener des réacteurs neufs ou anciens au niveau du référentiel de sûreté aujourd’hui admis est hors de prix. Problème d’autant plus grave que la qualité des fabrications longtemps postulée n’est qu’un mythe…
Le drame est que toutes ces données matérielles n’affectent pas le moins du monde la politique énergétique de l’État. La transition énergétique se fait attendre alors que les énergies renouvelables sont réduites à la portion congrue. C’est bien le problème majeur posé par l’indigente Programmation pluriannuelle de l’énergie qui vient d’être soumise à consultation du public. Tout tourne autour du maintien de l’option nucléaire.
Or ce n’est pas une fatalité. La sortie du nucléaire est non seulement nécessaire mais elle est possible aujourd’hui. Faut-il encore que l’État accepte de faire face à ses responsabilités. La première d’entre elles est de réorienter les ressources publiques vers la transition énergétique, tout d’abord la baisse des consommations puis la promotion des énergies renouvelables locales. La deuxième est de définir une authentique programmation des arrêts des réacteurs pour garantir l’Europe d’un accident malheureusement inéluctable. Vingt peuvent être fermés dans les plus courts délais. Trente dans la décennie à venir si tant est que des politiques adaptées soient mises en œuvre.
Mais pour que cette sortie du nucléaire soit complète faut-il encore reconnaître que l’on ne peut laisser pourrir sur site des installations au combien dangereuses. C’est un défi immense que l’on ne peut esquiver ne serait-ce que pour conserver le savoir-faire que les salariés ont accumulé tout au long de l’exploitation des installations. C’est un défi immense parce que le démantèlement pose la question de la gestion des déchets, question aujourd’hui esquivée par le nouveau Plan nationale de gestion des matières et déchets radioactifs en débat. C’est un défi immense parce qu’il s’agit de réaliser ces opérations dans le respect de l’environnement, de la santé publique et surtout du droit des travailleurs.
On ne peut plus esquiver cet enjeu. Il serait temps comme le revendique le Réseau Sortir du nucléaire depuis bientôt une décennie qu’un authentique débat public soit organisé sur la question du démantèlement. C’est une question urgente dont dépend la sortie inconditionnelle et irréversible du nucléaire. Sans une stratégie nationale de démantèlement élaborée de concert par l’État, les exploitants, les syndicats et les associations de protection de l’environnement, il est à craindre que d’aucuns tentent de mille manières de prolonger un peu plus encore le statu quo nucléaire. Non seulement cela n’est pas acceptable mais c’est irresponsable.
https://blogs.mediapart.fr/guillaume-blavette/blog/161016/le-demantelement-une-solution-face-la-fuite-en-avant-dans-le-tout-nucleaire
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