Parc de centrales vieillissantes, défectuosités dans certains réacteurs plus récents et problèmes d’entreposage de déchets radioactifs. La France, l’un des pays les plus dépendants de l’énergie nucléaire, doit relever de sérieux défis d’ordres économique, écologique et sécuritaire. Portrait de la situation.
La France, pays hôte de la 21e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques, qui a présidé l’an dernier la conclusion d’un accord international historique sur la réduction des gaz à effet de serre, peine à se convertir aux énergies renouvelables.
Plus du tiers des 58 réacteurs nucléaires français sont à l’arrêt. Pour des contrôles, des réparations ou des changements de pièces. La majorité des centrales en activité ont été construites dans les années 1970 et 1980 et elles approchent de la retraite forcée.
Un exemple souvent évoqué en France : la centrale de Fessenheim, en Alsace. Entrée en activité en 1977, c’est la plus vieille centrale du pays. Or, la durée de vie d’une centrale est estimée à 40 ans. Le président Hollande avait promis, lors de la campagne électorale de 2012, de la fermer pendant son quinquennat. Elle n’est toujours pas officiellement fermée, même si ses deux réacteurs sont à l’arrêt, l’un pour des travaux de réfection et l’autre pour des anomalies graves.
Ce genre de problèmes risque de se répéter en rafale parce que la majorité des réacteurs ont été construits avant 1985.
Mais ce n’est pas tout. L’Autorité de la sécurité nucléaire (ASN), le chien de garde public en France, a ordonné l’arrêt de cinq réacteurs pour des anomalies détectées dans l’acier de certaines cuves et dans une autre composante essentielle de base qu’on appelle les générateurs de vapeur. Il y a trop de carbone dans l’acier, il est donc moins résistant et pourrait se rompre en cas de choc thermique.
Dans ce cas, le problème n’est pas dû au vieillissement, mais plutôt à un défaut de fabrication. Plusieurs autres réacteurs pourraient être également mis à l’arrêt prochainement, selon Julien Collet, directeur général adjoint de l’ASN.
La présence de carbone dans l’acier a été détectée sur 18 réacteurs.
Il faut avoir en tête que les conséquences de la rupture de ces pièces ne sont pas étudiées dans les démonstrations de sûreté de ces réacteurs. Il est indispensable qu’on puisse garantir que ces pièces ne subiront pas de rupture. Cela pourrait poser un problème durant l’hiver.
Julien Collet, directeur général adjoint de l’ASN
« Si les réacteurs à l’arrêt ne redémarrent pas, on pourrait avoir des situations difficiles au niveau du réseau électrique, » ajoute M. Collet. Électricité de France (EDF), le producteur et fournisseur d’électricité public, propriétaire des 58 centrales nucléaires du pays, n’a fait aucun commentaire sur cette situation, que beaucoup jugent alarmante.
EDF souhaite prolonger la durée de vie de ses vieilles centrales à 50 ans, voire plus. La société publique, propriété de l’État à près de 90 %, qui jouit d’une situation de quasi-monopole, n’a présenté aucun plan pour la fermeture de ses centrales les plus âgées.
Risque d’accident nucléaire?
Électricité de France a refusé de répondre aux nombreuses demandes d’interview.
L’ingénieur à la retraite Bernard Laponche, spécialiste de la physique des réacteurs nucléaires et ancien employé du Commissariat d’énergie atomique de France, pense que le risque existe. Celui qui est devenu expert indépendant mentionne que même avant la découverte de ces nouveaux défauts, l’Autorité de sûreté nucléaire expliquait que le type d’accident de Fukushima survenu au Japon était possible en France et ailleurs en Europe. Et c’était avant qu’on ne découvre tous ces défauts.
Une partie du parc nucléaire en France est en état de sûreté dégradé parce qu’il y a des pièces réputées parfaites qui ne le sont pas. S’il y a rupture de cuve, il y aura une quantité incroyable de radioactivité, […] risques d’explosions, c’est une situation gravissime!
Bernard Laponche, spécialiste de la physique des réacteurs nucléaires
De plus, on sait maintenant que la société Areva, principal partenaire d’EDF, également à propriété publique majoritaire, spécialiste de la construction des réacteurs nucléaires, a falsifié des rapports sur la sécurité de certaines composantes d’au moins un de ses réacteurs dont elle a la charge. Une affaire qui est devant les tribunaux : l’Autorité de sûreté nucléaire poursuit Areva.
Laponche est devenu avec le temps un adversaire farouche de l’industrie nucléaire française. Cette dernière mauvaise nouvelle le fait bondir.
Un pays qui dit depuis 50 ans que le nucléaire est la huitième merveille du monde […] Et tout d’un coup, vous vous apercevez qu’il y a des anomalies de fabrication incroyables et qu’en plus, il y a des falsifications, ça devrait être un scandale public! Pas un mot, pratiquement. Il y a une omerta sur le nucléaire en France!
Bernard Laponche, spécialiste de la physique des réacteurs nucléaires
Le député Bertrand Pancher, de l’Union des démocrates et indépendants (UDI), un parti dans l’opposition, et membre de la Commission parlementaire sur le développement durable, est d’accord.
Il y a dans notre pays une résistance politique à s’opposer à l’industrie nucléaire parce qu’après 40 ans de production massive, c’est devenu notre ADN.
Bertrand Pancher, député de l’UDI
La commission parlementaire où siège Bertrand Pancher a récemment dénoncé l’absence de directives claires sur le nucléaire en France et l’incapacité du gouvernement à enclencher une véritable transition énergétique.
C’est en partie dû à la peur de bousculer le pouvoir d’achat des électeurs et des entreprises.
Bertrand Pancher, député de l’UDI
- Pancher ajoute que «la puissance industrielle de la France se mesure depuis longtemps par ses industries énergétiques et par EDF, notamment. Il y a une complicité du politique avec les entreprises qui disent qu’on est plus compétitifs vis-à-vis l’Allemagne à cause de notre bas coût de l’énergie, et on voit bien que tout ça crée un ensemble de résistances qu’il est difficile de bousculer.»
En 2015, le gouvernement français s’est engagé, par l’adoption d’une loi sur la transition énergétique, à favoriser le développement des énergies vertes. Le plan du gouvernement français énonce bien l’intention de réduire la part du nucléaire de 78 % à 50 %, pour faire plus de place aux énergies renouvelables. Mais la mise en œuvre de la loi, présentée récemment par la ministre de l’Environnement Ségolène Royal ne prévoit aucune fermeture de réacteurs nucléaires.
Fort de ses succès à la conférence de Paris l’an dernier, le gouvernement est concentré sur ses objectifs de réduction des gaz à effet de serre. Comme l’énergie nucléaire ne produit pas de GES, elle joue un rôle important dans l’atteinte des objectifs de réduction de carbone.
Le saviez-vous?
En Europe, la France arrive en 16e place sur 28 pour sa production d’énergies renouvelables, très loin derrière la Suède, l’Allemagne et l’Autriche, entre autres. Elle a même reculé de trois rangs depuis 2010, en se laissant devancer par l’Italie et la Grèce.
Selon beaucoup d’observateurs, cette lenteur s’explique par la situation de quasi-monopole d’EDF, producteur d’énergie nucléaire, et unique distributeur d’électricité.
C’est ce que pense par exemple Cyrille Cormier, porte-parole de Greenpeace France. Selon lui, ce n’est pas sain pour développer la transition énergétique. Il faut diversifier le tissu industriel et économique en France.
L’État possède EDF, donc, l’État a les moyens d’imprimer à EDF une nouvelle orientation industrielle. Ils ont refusé de le faire, ils se sont soustraits à leurs obligations et responsabilités, et aujourd’hui, ils se retrouvent dans une impasse complète.
Cyrille Cormier, porte-parole de Greenpeace France
http://ici.radio-canada.ca/nouvelle/814593/france-nucleaire-centrales-vieillissantes
Un texte de Sylvain Desjardins
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