Le ministère de l’Environnement a réalisé un audit sur le coût du démantèlement des réacteurs d’EDF. Publié en catimini, le document écarte la prise en compte des exemples étrangers. EDF et Greenpeace s’affrontent sur ce point.
Les provisions d’EDF pour le démantèlement de ses réacteurs nucléaires sont-elles suffisantes ? La question oppose Greenpeace et l’électricien. L’ONG, qui s’appuie sur un rapport commandé au cabinet AlphaValue, estime qu’il manque « environ 50 milliards d’euros ». En conséquence, Greenpeace a déposé plainte considérant que les bilans d’EDF donnent une fausse image auprès des investisseurs et des actionnaires. Mais l’électricien « conteste vigoureusement les prétendues analyses comptables et financières du cabinet AlphaValue ». L’entreprise explique que les coûts de démantèlement « ont (…) fait l’objet d’un audit du ministère de l’Environnement ». Dans la foulée, l’entreprise « dépose une plainte pénale pour tirer les conséquences de ces allégations mensongères et de ces informations trompeuses ».
Un rapport très discret
Sur quel rapport s’appuie EDF ? En 2014, le ministère de l’Environnement commande au cabinet d’évaluation financière Ricol Lasteyrie et au cabinet de conseil NucAdvisor un « Audit sur les modalités d’évaluation des charges brutes permettant le calcul des provisions de déconstruction des réacteurs d’EDF en cours d’exploitation« . L’objectif est d’évaluer la pertinence des évaluations réalisées par EDF. Le document, finalisé en août 2015, est diffusé en janvier 2016. Officiellement, il est public, mais la mise en ligne sur le site du ministère a été particulièrement discrète. Le 6 octobre dernier, il a fait l’objet d’une présentation au Haut comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire (HCTISN). Mais depuis, le document a été retiré du site du ministère. A priori, personne ne connaissait son existence en dehors du ministère et d’EDF. Les membres du Haut comité interrogés par Actu-Environnement indiquent avoir appris son existence le 6 octobre. Un point confirmé par les responsables du HCTISN.
Premier constat, le document du ministère n’est qu’une synthèse « publiable » et pas le rapport complet. De plus, il ne prend pas en compte l’impact de la loi sur la transition énergétique. Enfin, il s’appuie « principalement sur les données communiquées par EDF », données qui datent de 2013. Il s’agit des chiffres utilisés par la Cour des comptes pour son rapport de mai 2014.
Selon EDF, le coût de démantèlement s’élève à un milliard d’euros pour une centrale de quatre réacteurs de 900 mégawatts (la centrale de Dampierre est prise pour modèle). Cela représente un coût de 309 millions d’euros par gigawatt (GW) installé, hors dépollution des sols. « Ce devis est prudent, tant du point de vue des postes de coûts que du planning qui le sous-tendent », conclut l’audit commandé par le ministère. Toutefois, il rappelle que le chiffrage repose sur une hypothèse centrale : le maintien en exploitation d’une ou plusieurs tranches voisines, permettant de mutualiser certains frais avec l’exploitation. Une hypothèse qui ne devrait pas correspondre à l’arrêt des deux réacteurs de Fessenheim (Haut-Rhin) promis par le Gouvernement. Quel impact cela aura-t-il sur le coût du démantèlement ? L’audit « n’a pas pu approfondir » la question.
Moitié moins cher en France
L’une des principales critiques formulées à l’encontre du rapport concerne l’absence de prise en compte du retour d’expérience international. L’audit de Ricol Lasteyrie et NucAdvisor « confirme les conclusions d’EDF », selon laquelle « chaque cas est quasiment unique ». Surtout, les auteurs « [relèvent] le caractère particulièrement inadéquat de la comparaison directe en euro par kilowatt installé provenant des chiffres bruts publiés dans la littérature internationale ». L’approche reste donc franco-française. C’est sur ce point que Greenpeace et EDF s’affrontent.
« Evidemment, il n’y a aucune comparaison internationale dans l’audit commandé par le ministère », regrette Bernard Laponche, spécialiste de la question, qui ironise : « C’est bien connu : les électriciens allemands et américains sont des ânes« . Bien sûr, il y a peu d’exemple de démantèlements et les différentes approches nationales font débat. Mais, le dernier rapport de la Cour des comptes souligne que l’exemple des opérateurs allemands « sera certainement une référence intéressante pour la France« . En effet, les Allemands s’orientent vers un démantèlement immédiat des réacteurs arrêtés, comme le prévoit également la règlementation française.
AlphaValue a réalisé à la demande de Greenpeace cette comparaison internationale. L’exercice est délicat car les entreprises inscrivent dans leurs comptes des provisions, c’est-à-dire la valeur actualisée des dépenses futures. Or, de nombreux facteurs interviennent : le taux d’inflation retenu, le nombre d’années entre aujourd’hui et la date des dépenses et, bien sûr, le taux d’actualisation.
AlphaValue calcule le montant dont dispose EDF en partant du principe que l’entreprise devra fermer 17 réacteurs d’ici 2025 pour respecter la loi de transition énergétique. Avec ce scénario, les provisions d’EDF permettent de couvrir des charges de démantèlement de 452 millions d’euros par GW. Certes, EDF peut bénéficier de l’effet de série associé à son parc de 58 réacteurs, mais cela ne devrait guère permettre de réduire de plus de 10% la facture totale, estime AlphaValue.
En comparaison, les charges de démantèlement des autres producteurs européens sont deux fois plus élevées. Selon le cabinet, les Allemands E.ON et RWE évaluent à 835 millions d’euros et un milliard d’euros le coût par GW. Quant à Engie, il évalue le coût à 954 millions d’euros par GW pour ses sept réacteurs en Belgique. Ces chiffres sont relativement proches de ceux avancés par la Commission européenne qui estime qu’il faudra un peu plus d’un milliard d’euros par GW.
Article de Philippe Collet, journaliste
http://www.actu-environnement.com/ae/news/cout-demantelement-nucleaire-edf-modele-allemand-27965.php4
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