L’entreprise publique se montrerait trop « optimiste » sur la faisabilité technique et financière de la déconstruction du parc atomique.
La controverse sur le coût du démantèlement du parc électronucléaire français n’est pas neuve. Mais elle prend un relief particulier, alors que la filière traverse une passe difficile. Selon un rapport parlementaire sur « la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires de base », rendu public mardi 1er février, les charges liées à la fin de vie des centrales seraient « sous-évaluées » par EDF, qui aurait en outre mal anticipé la complexité de la tâche. Fait rare et notable, le président de la mission d’information, Julien Aubert, député (Les Républicains) du Vaucluse, fait part dans ce document de plusieurs points de « désaccords » avec la rapporteure, Barbara Romagnan, députée (PS) du Vaucluse.
Le parc nucléaire hexagonal se compose bien sûr des 58 réacteurs en activité, dont la « déconstruction » n’est pas encore planifiée, mais aussi de neuf réacteurs anciens, déjà en cours de démantèlement. Six de ces derniers appartiennent à la filière graphite-gaz (Bugey 1, Chinon A1, A2 et A3, Saint-Laurent A1 et A2), à ce groupe s’ajoutant le réacteur à eau lourde de Brennilis (Finistère), le petit réacteur à eau pressurisée de Chooz A (Ardennes) et le surgénérateur Superphénix de Creys-Malville (Isère).
En juillet 2016, le PDG d’EDF, Jean-Bernard Lévy, a chiffré la facture totale du démantèlement de ces installations à 60 milliards d’euros, dont environ 26 milliards pour la déconstruction des centrales, 29 milliards pour la gestion à long terme des déchets radioactifs et 4 milliards pour la gestion des derniers cœurs, ou assemblages de combustibles. En prévision, EDF avait provisionné 22,2 milliards d’euros au 30 juin 2016.
En Allemagne, des coûts deux fois supérieurs
Le rapport retient pour l’ensemble de ce chantier un autre chiffrage d’EDF, de 75,5 milliards d’euros de charges brutes, qui intègre la gestion des combustibles usés avant qu’ils ne deviennent des déchets ultimes. Même portées à ce niveau, les dépenses sont entachées d’une « sous-évaluation vraisemblable », d’après les parlementaires. Les comparaisons internationales sont difficiles, mais d’autres pays, comme l’Allemagne et les États-Unis, prévoient des coûts de démantèlement jusqu’à deux fois supérieurs.
Dans le cas de la France, Mme Romagnan pointe « un certain nombre d’éléments non pris en compte », comme « la remise en état des sols, l’évacuation des combustibles, les taxes et assurances, le coût social… » En outre, observe-t-elle, « les provisions [constituées par EDF] sont parmi les plus basses de l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques], sans filet de sécurité en cas d’écart sur les coûts ».
C’est sur ce volet que le président de la mission d’information se démarque le plus nettement d’une analyse qui, à ses yeux, « ne doit pas laisser à penser que les comptes de l’électricien sont insincères ». Pour Julien Aubert, « le niveau de provisions présenté par EDF est certes le plus bas des pays de l’OCDE, mais l’électricien bénéficiera, lors du démantèlement des 58 REP [réacteurs à eau pressurisée], d’un effet de série qui lui fera réaliser des économies d’échelle que personne n’est capable, à l’heure actuelle, de chiffrer avec précision. »
Réagissant dans un communiqué, l’entreprise publique souligne pour sa part que « les provisions pour déconstruction du parc en exploitation ont fait l’objet d’un audit commandité par le ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer » et rendu public en janvier 2016, lequel « conforte globalement l’estimation faite par EDF du coût de démantèlement de son parc nucléaire. »
Faisabilité incertaine
Au-delà du seul coût, le rapport considère également que « la faisabilité technique [du démantèlement] n’est pas assurée ». Mme Romagnan en veut pour preuve la décision annoncée par EDF, en 2016, de différer la déconstruction des six réacteurs de la filière graphite-gaz. L’opérateur a en effet jugé la méthode initialement envisagée – sous eau – trop complexe et trop risquée. Les travaux se feront sous air, mais leur achèvement est désormais repoussé à la fin du siècle. S’y ajoute le retard pris pour le réacteur de Brennilis, à l’arrêt depuis 1985 mais toujours debout. Et la difficulté particulière que pose la gestion du sodium liquide utilisé pour refroidir le surgénérateur Superphénix.
Sur le parc aujourd’hui en exploitation, estime la députée, « on ne peut pas exclure des difficultés imprévues ». D’autant que la plupart des réacteurs ayant été mis en service entre la fin des années 1970 et la fin des années 1980, leur démantèlement devrait intervenir dans un laps de temps rapproché, ce qui exigera de pouvoir mobiliser des moyens humains et matériels importants.
Sur ce sujet, EDF « confirme son objectif de démanteler ses installations nucléaires dans des délais aussi courts que possible ». Cela, précise l’industriel, en s’appuyant « sur des compétences spécifiques qu’il s’attache à développer dans la durée, chez lui-même comme chez ses principaux partenaires prestataires ».
Face aux interrogations soulevées par ce rapport, les parlementaires préconisent de « revoir les règles de prévisions des coûts du démantèlement » et d’établir « un agenda prévisionnel » de la déconstruction des réacteurs, en commençant par « accélérer » celle des anciens réacteurs.
http://www.lemonde.fr/planete/article/2017/02/01/edf-sous-estime-le-cout-du-demantelement-nucleaire-selon-un-rapport-parlementaire_5072981_3244.html
Commentaires récents