SUISSE : LA VOIE EST TRACÉE POUR SORTIR DU NUCLÉAIRE

Suisse 2Votation fédérale : six ans après la catastrophe de Fukushima, les Suisses plébiscitent la Stratégie énergétique 2050. Une première étape qui en annonce d’autres.

La championne des votations a encore frappé. Doris Leuthard enregistre un nouveau succès populaire. Le plus important sans doute de sa carrière, tant sa dimension est historique. En disant oui à sa Stratégie énergétique, les Suisses ont affirmé qu’ils étaient prêts à renoncer au nucléaire et à prendre le virage des renouvelables. Les Vaudois sont les champions du oui avec 73,5%, suivis des Genevois à 72,5%. Si les Romands ont été plus favorables, il n’y a pas de Röstigraben. Seuls Argovie, Schwytz, Glaris et Obwald ont glissé un non dans l’urne.

«Nous allons créer des postes de travail et réduire notre dépendance à l’étranger»

«Six ans après Fukushima, une nouvelle page s’ouvre vers un futur énergétique moderne, se réjouit Doris Leuthard. Le travail n’est pas terminé. Il s’agit d’une première étape. Mais cette stratégie offensive offre des opportunités. Avec l’efficacité énergétique et le développement des renouvelables indigènes, nous allons créer des postes de travail et réduire notre dépendance à l’étranger
Malgré les derniers sondages qui révélaient un sursaut du non, le suspense aura été de courte durée. Sur l’esplanade de la Grosse Schanze, au-dessus de la gare de Berne, les partisans ont très tôt affiché le sourire des grands jours. Tous les partis sauf l’UDC soutenaient le projet, et nombre de leurs représentants sont venus commenter le scrutin.

Un mot est sur toutes les lèvres: historique.

Présidente des Verts, Regula Rytz (BE) ose le parallèle avec la votation sur la sortie du nucléaire. «Bien qu’elle ait échoué, notre initiative a permis de mettre la pression. En novembre, nous réunissions 46%, il fallait que nos alliés du centre droit convainquent les 5% manquants.» Le oui est bien plus clair, ce qui réjouit Jacques Bourgeois (PLR/FR). «Les citoyens ont su garder la tête froide, malgré les mensonges de nos opposants.»
«Le fait que l’UDC lance le référendum permet à ce projet de disposer d’une grande légitimité populaire, reconnaît Roger Nordmann (PS/VD). Même si les dernières semaines ont été stressantes. Au final, le peuple s’est rendu compte que le statu quo n’était pas une solution. Lorsqu’un projet est équilibré, les Suisses font confiance aux autorités, lance-t-il en taclant la RIE III. C’est de bon augure pour la réforme des retraites.»

David contre Goliath

À quelques minutes de là, l’ambiance est bien plus morose. Les opposants se sont donné rendez-vous à la Welle 7. Le public est parsemé. «Quand on perd, ce n’est pas facile de faire face», commente Doris Fiala (PLR/ZH), un des rares élus à avoir fait le déplacement. Malgré les moyens importants investis par le camp du non, elle compare la défaite du jour au combat de David contre Goliath. «Ce n’est pas facile de s’opposer à l’air du temps. Le peuple a dit oui à un espoir. Personne ne peut dire comment se fera l’approvisionnement à l’avenir.»
Philippe Roch, ancien directeur de l’Office fédéral de l’environnement, promet lui aussi des lendemains qui déchantent.. «Je suis heureux qu’il y ait une majorité favorable à une transition énergétique, mais il va y avoir des désillusions. Ce paquet est bureaucratique, coûteux et dommageable pour l’environnement
Quant à l’UDC, elle cherche à dédramatiser ce nouvel échec, estimant que le référendum aura permis de thématiser les lacunes du projet. Coûts, risque de black-out, impact sur le paysage. Le parti tiendra les autorités à l’œil.
Les partisans du oui ont beau afficher leur soulagement, plusieurs questions restent en suspens. Comment se passera la désaffectation des centrales, sachant que la première – Mühleberg – fermera en 2019? «Il faudra s’assurer que les fonds sont suffisants pour que le peuple ne doive pas passer à la caisse», avertit déjà Jacques Bourgeois.

Autres questions cruciales

Comment être sûr que les renouvelables permettront à terme de remplacer l’énergie atomique? Comment atteindre l’objectif de réduction de 43% de la consommation d’énergie d’ici à 2035, sachant que l’idée des taxes incitatives est en passe d’être abandonnée? «On va travailler pas à pas, répond Stefan Müller-Altermatt (PDC/SO). On ne sait même pas comment sera le marché de l’énergie de demain. Nous avons toutefois une première possibilité d’agir avec la révision de la loi sur le CO2
Plus optimiste, Roger Nordmann fait confiance à l’innovation technologique. «Il y a beaucoup de progrès à venir dans ce secteur. Certaines technologies pour le stockage d’énergie sont à bout touchant.» Pour Doris Leuthard, seuls dix semaines d’hiver posent problème. Pas de quoi nécessiter la construction de centrales à gaz.

Le défi hydraulique

Confrontés aux mêmes questions, les opposants ressortent les réserves émises durant la campagne. «On ne pourra pas couper à des importations massives de courant, explique Doris Fiala. Pour éviter une explosion des prix, la Suisse doit au plus vite négocier un accord sur l’électricité avec l’Allemagne d’abord, puis avec l’UE.» L’Union suisse des arts et métiers va plus loin et appelle carrément à une libéralisation complète du marché de l’électricité.
Il y a un point sur lequel une grande majorité des élus se rejoignent, c’est sur l’importance des barrages dans cette transition. Le secteur, qui compte pour 60% du mélange énergétique, affronte une crise sans précédent, confronté à la chute des prix de l’électricité en Europe. «La Stratégie énergétique donne un premier coup de pouce temporaire, explique Doris Leuthard. Nous devons réfléchir à la suite.» Le Conseil fédéral lancera la consultation sur la mise en œuvre du soutien aux barrages d’ici l’été. Une discussion sans tabou, même la redevance hydraulique sera abordée. «Les propriétaires devront utiliser cette période pour réduire leurs coûts et devenir plus efficients.»
Quel sort sera réservé aux barrages? On en saura un peu plus dans une dizaine de jours. Le Conseil national se penchera sur différentes solutions lors de la discussion sur les réseaux électriques. (TDG)

http://www.tdg.ch/suisse/politique/La-voie-est-tracee-pour-sortir-du-nucleaire/story/31302662