Confronté au boom des renouvelables et aux surcoûts des réacteurs de troisième génération post-Fukushima, le secteur du nucléaire est devenu un marché de niche.
Une débandade ? En mai, la Suisse décidait, au terme d’un référendum, de ne pas prolonger la durée de vie de ses centrales nucléaire (voir <https://www.challenges.fr/tag_theme/nucleaire_1123/> s. La Confédération rejoignait une cohorte de pays ayant dit non à l’atome : Allemagne, Italie, Autriche, Taïwan… Le mois suivant, la Corée du Sud annonçait qu’elle allait réduire la part du nucléaire dans son mix électrique. » Je vais abandonner tous les projets de nouveaux réacteurs en cours et je ne prolongerai pas la vie des réacteurs actuels « , déclarait le nouveau président Moon Jae-in.
Confronté au boom des renouvelables et aux surcoûts des centrales de troisième génération post-Fukushima, le nucléaire traverse une mauvaise passe. Westinghouse (Toshiba) est en faillite, et Areva <https://www.challenges.fr/tag_marque/areva_4125/> a besoin d’urgence d’être recapitalisée. En avril, l’énergéticien Engie s’est retiré du projet NuGen en Grande-Bretagne. Demain, il pourrait faire de même en Turquie. L’ex-GDF-Suez qui nourrissait de grandes ambitions se contente aujourd’hui de gérer les sept réacteurs qu’il possède en Belgique. Cela jusqu’en 2025. Car Bruxelles non plus n’a pas l’intention de les prolonger. Il pourrait d’ailleurs mettre ses centrales au rebut plus tôt que prévu. Le mois dernier, quelque 50 000 Belges, Allemands et Néerlandais ont formé une chaîne humanitaire transfrontalière de 90 kilomètres en exigeant la fermeture » immédiate » de deux réacteurs dont les cuves recelaient des fissures.
Business model en question
Aux États-Unis, c’est moins la défiance envers les centrales que le modèle économique des réacteurs qui pose problème. Le nucléaire n’est simplement plus compétitif par rapport au gaz de schiste. Selon l’agence Bloomberg, 34 des 61 centrales américaines perdent de l’argent (3 milliards de dollars par an au total). » Le prix du nucléaire est en moyenne trois fois plus élevé que le prix de gros de l’électricité, indique l’expert Mycle Schneider, auteur du World Nuclear Industry Status Report. L’an dernier, seulement trois nouvelles centrales ont été mises en service dans le monde. Deux en Chine et une au Pakistan réalisée par une firme chinoise. Sur un plan stratégique, l’industrie est morte. » Il y a cinq ans, l’hebdomadaire The Economist n’avait pas dit autre chose. Le titre de sa une : » Nuclear Energy The Dream That Failed » (un rêve qui a échoué).
Usine à gaz
Comment en est-on arrivé là ? Au début des années 2000, quinze ans après la catastrophe de Tchernobyl, le nucléaire était devenu moins clivant dans les opinions publiques et toute la filière misait sur sa renaissance. Le mouvement sera cassé net par l’accident de Fukushima en 2011. Quatre ans plus tard, l’industrie bénéficie d’une seconde chance.
La COP21 prend des engagements ambitieux en matière de réchauffement climatique. Dans le processus de transition énergétique, le nucléaire, énergie décarbonée, apparaît comme un élément-clé aux côtés des renouvelables. D’autant plus indispensable que l’éolien et le photovoltaïque, énergies intermittentes, ne peuvent remplacer à elles seules les centrales au charbon et au gaz. Pour les pays consommateurs d’énergies fossiles, la nécessité c’est d’abord de décarboner leur électricité. Les émergents en plein boom se tournent alors vers l’atome. Les pays du Moyen-Orient (Arabie saoudite, EAU) qui veulent réduire leur dépendance au pétrole, mais aussi la Pologne, l’Inde et bien sûr la Chine qui accueille la moitié des nouvelles installations. » Soixante réacteurs sont aujourd’hui en construction, dont six dans des pays qui n’ont jamais opéré de nucléaire « , se félicite Dohee Hahn, directeur de la division nucléaire de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Pour autant, les projets tardent à réellement émerger. Avec les normes de sécurité post-Fukushima, les centrales de troisième génération sont devenues de véritables usines à gaz. Les coûts et les délais explosent. Les EPR d’Olkiluoto (Finlande), de Flamanville (France) et de Taishan (Chine) ne sont toujours pas achevés. A peine commencé, celui d’Hinkley Point connaît déjà des surcoûts Les dérives de ces chantiers géants créent une grande incertitude chez les opérateurs. Aujourd’hui, EDF < https://www.challenges.fr/tag_marque/edf_3039/> travaille sur un EPR » nouveau modèle » pour 2030. Selon l’électricien, cette future centrale coûtera » moins cher en euros par kilowattheure que la moins chère des énergies renouvelables installée au même endroit à cette époque-là. «
Un objectif qui a tout du vœu pieux. D’autant que le nucléaire est désormais un poids plume par rapport aux renouvelables. L’an dernier, les nouvelles capacités se sont élevées à 9 gigawatts, contre 147 pour les éoliennes et le photovoltaïque. « En Europe, les projets nucléaires doivent impérativement être soutenus par des contrats de long terme avec un financement hors des fluctuations du marché de gros de l’électricité », indique Patrice Geoffron, directeur du Centre de géopolitique de l’énergie et des matières premières. C’est le schéma arrêté par EDF pour Hinkley Point. « Aujourd’hui, le nucléaire est l’apanage des économies planifiées et des régimes autoritaires qui ont de gros moyens financiers, comme la Russie et la Chine », note Nicolas Goldberg, analyste au cabinet Colombus Consulting. Résultat, outre l’ex-empire du Milieu, la quasi-totalité des projets se trouvent dans des pays dépendant de la sphère d’influence des chinois CGN et CNNC et du géant russe Rosatom (Vietnam, Hongrie, Turquie).
Industrie du temps long
Alors, quel avenir pour le nucléaire ? Si l’on en croit l’AIEA, celui-ci devrait progresser sur le long terme en termes de capacités. En 2050, la hausse en terawattheures se situerait entre 40 et 200 %. La part du nucléaire dans le mix électrique va en revanche diminuer passant de 11 à 10 % d’ici à 2050 selon une hypothèse haute, et à 4,7 % selon une hypothèse basse. Le nouveau nucléaire est un « marché de niche », constatait récemment Isabelle Kocher, directrice générale d’Engie. Ce qui ne veut pas dire que la filière va disparaître. Le nucléaire est l’industrie du temps long et certaines entreprises y voient même de belles opportunités. Mais l’atome ne sera jamais l’industrie mainstream que présageait l’ancienne patronne d’Areva Anne Lauvergeon. Et si demain la problématique du stockage de l’électricité est résolue, le déclin pourrait être plus rapide que prévu. Le titre de la couverture de The Economist était sans doute prémonitoire.
Le Brexit fragilise la construction de Hinkley Point
Ouf ! En septembre 2016, après un feuilleton long de plusieurs années, qui a vu notamment la démission du directeur financier d’EDF, le contrat de construction de deux EPR à Hinkley Point, dans le sud-ouest de l’Angleterre, était enfin signé. Pour les pro nucléaires, ce deal, avec un prix du kilowattheure garanti sur trente-cinq ans, est exemplaire. Il est la preuve qu’il est possible de réaliser des nouvelles centrales en Occident. Le PDG d’EDF Jean-Bernard Lévy a d’ailleurs dit que les futurs EPR français, construits à partir de 2030, devraient être financés selon le même schéma.
Mais Hinkley Point sera-t-il un jour lancé ? Aujourd’hui, le Brexit et l’affaiblissement de la Première ministre Theresa May fragilisent le projet. L’autorité britannique de contrôle des comptes publics, le National Audit Office, a estimé que le prix de l’électricité garanti à EDF pourrait engendrer un surcoût de 34 milliards d’euros. Lundi 3 juillet, après plusieurs mois d’une « revue complète », EDF a annoncé que les EPR britanniques coûteront 1,8 milliard d’euros plus cher que prévu. L’investissement total s’élève désormais à plus de 24 milliards. En outre, un risque de retard de quinze mois est envisagé.
Grâce à la COP21, le nucléaire était apparu comme un élément-clé de la transition énergétique. Mais les normes post-Fukushima et leurs coûts ont pénalisé le marché.
Article de Nicolas Stiel Journaliste ( https://www.challenges.fr/auteurs/nicolas-stiel_86/)
https://www.challenges.fr/entreprise/energie/le-non-a-l-atome-se-propage-dans-le-monde-entier_485701
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