PAUL QUILÈS : « L’ARME NUCLÉAIRE POUSSE À LA PROLIFÉRATION »

QuilèsLa doctrine de la dissuasion nucléaire est-elle encore pertinente ? L’avis de Paul Quilès, président d’Initiatives pour le désarmement nucléaire, ancien ministre de la défense (1985-1986), ex-président de la commission de la défense de l’Assemblée nationale.

La dissuasion nucléaire, disait récemment un haut responsable français de la défense, est un concept solide mais flexible. À vrai dire, je n’ai pas bien saisi ce que voulait dire cette formulation. Peut-être s’agissait-il de rappeler que ce concept a changé au moins une dizaine de fois de définition ! Lorsque j’étais ministre de la défense sous François Mitterrand, on parlait d’armes nucléaires stratégiques, préstratégiques et tactiques (armes de champ de bataille). Ni le président ni moi ne comprenions en quoi une arme préstratégique avait vocation à être dissuasive ou offensive. Aujourd’hui, on parle même de recherches sur des missiles hypersoniques furtifs, dont la vocation n’a rien de défensive.

L’histoire démontre que l’arme nucléaire pousse à la prolifération. Il suffit de regarder l’accroissement des stocks d’ogives entre les années 1950 et les années 1980 ou encore le nombre de pays possesseurs qui n’a cessé d’augmenter. Durant la guerre froide, la bombe n’a pas empêché de nombreuses guerres par procuration au Moyen-Orient, en Afrique, en Extrême-Orient… Le monde a frôlé la catastrophe lors de la crise des missiles de Cuba en 1962. Sans oublier les dizaines d’accidents recensés ou les possibles erreurs d’interprétation. Pour mémoire, en 1983, un satellite soviétique avait confondu la chaleur des rayons du soleil avec celle d’un missile américain, manquant de peu de déclencher un tir de riposte aux conséquences incalculables !

Les partisans de la dissuasion évoquent l’absence de Troisième Guerre mondiale entre l’URSS et les États-Unis, mais il est impossible de savoir ce qui se serait passé sans l’existence des armes atomiques. Ils parlent aussi de la bombe comme d’une sorte « d’assurance-vie » qui offrirait une sécurité en inspirant la terreur à l’ennemi. Or, Israël a été attaqué en 1973 alors que le pays avait rejoint le cercle des États détenteurs. Même chose pour la Grande-Bretagne qui a dû faire face à une offensive de l’Argentine dans l’archipel des Malouines en 1982.

Les cinq pays officiellement détenteurs de l’arme s’offusquent aujourd’hui de ce que la Corée du Nord développe son programme, en brandissant le traité de non-prolifération nucléaire (TNP), rédigé en réalité pour conserver leur monopole. Ces mêmes pays oublient au passage que l’article 6 dudit traité – qu’ils ne respectent pas ! – les engage au désarmement nucléaire dans de brefs délais.

Il serait souhaitable de relire les propos de Ronald Reagan, devenu sur le tard un partisan du désarmement. L’ancien président américain avouait dans ses Mémoires : « En tant que commandant en chef des forces armées américaines, vous n’avez que six minutes pour décider comment réagir à un signal sur un écran radar et s’il faut ou non déclencher l’apocalypse. Qui pourrait faire preuve de raison dans un moment pareil ? »

Recueilli par Olivier Tallès

https://blogs.mediapart.fr/morvan56/blog/070917/l-arme-nucleaire-pousse-la-

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