CLIMAT: À BRUXELLES, LA FRANCE LÂCHE LES RENOUVELABLES

La France œuvre-t-elle contre les énergies renouvelables en Europe, tout en prétendant le contraire en public ? C’est ce que prouve un document informel transmis par Paris au Conseil européen dans le cadre de discussions sur les objectifs climatiques européens.

La France œuvre-t-elle contre les énergies renouvelables en Europe, tout en prétendant le contraire en public ? Dans un papier informel transmis au Conseil européen dans le cadre de discussions sur les objectifs climatiques européens, Paris apparaît en retrait par rapport à ses positions officielles. Ces mêmes propositions ont été défendues lors du Conseil informel des ministres de l’énergie à Tallinn (Estonie) les 19 et 20 septembre.

En octobre 2014, les dirigeants européens ont adopté trois objectifs pour 2030 : réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % (par rapport à 1990), porter la part des énergies renouvelables à au moins 27 % de la consommation et améliorer l’efficacité énergétique d’au moins 27 %. Ces directives énergie-climat devraient, en toute logique, être revues à la hausse pour permettre la mise en œuvre de l’Accord de Paris demandant la neutralité carbone d’ici 2050.

Pourtant, dans un « non papier » — l’appellation officielle de ce type de documents —, daté du 12 septembre, que s’est procuré Mediapart, et dont RTL et le site Contexte ont révélé l’existence, le gouvernement français souhaite au contraire alléger les obligations favorables aux renouvelables.

Au cours de la décennie 2020-2030, la trajectoire d’augmentation du solaire, de l’éolien, de la géothermie et de la biomasse, les principales énergies renouvelables à renforcer puisque aucun projet de barrage n’est en cours, serait non linéaire et non contraignante. Concrètement, Paris propose que seulement 50 % de l’objectif 2030 doive être réalisé d’ici 2027. Compte tenu des temps longs des décisions dans l’énergie, il paraît fort improbable que l’autre moitié de l’objectif soit atteignable en trois ans. Au passage, cela signifie que si Emmanuel Macron parvenait à faire deux mandats, il laisserait le soin à son successeur de faire la moitié des efforts demandés en seulement trois ans.

De plus, Paris s’oppose à une intervention de la Commission européenne pour assurer « un rattrapage » au cas où la somme des objectifs nationaux ne permette pas d’atteindre la cible européenne de 27 %. Les autorités françaises refusent également la création d’une plateforme financière européenne d’investissements dans les renouvelables, estimant que chaque État membre est le plus compétent pour définir le meilleur moyen de respecter ses engagements. Pourtant ce type de système permettrait d’aider les pays qui peinent à emprunter, comme la Roumanie et la Pologne. Cette distance vis-à-vis de la logique communautaire s’entrechoque avec le volontarisme pro-Union affiché par Emmanuel Macron.

Pour Claude Turmes, eurodéputé écologiste luxembourgeois, et l’un des meilleurs spécialistes en énergies renouvelables au parlement : « L’approche française risque de porter un coup fatal à la mise en œuvre en Europe de l’accord de Paris issu de la COP21. Elle permettra aux États membres dont le bouquet électrique est encore fortement carboné (l’Espagne, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie…) d’utiliser le prétexte d’un ralentissement du déploiement des renouvelables pour prolonger la durée de vie de leurs vieilles centrales charbon avec comme conséquence l’impossibilité de se conformer aux engagements climatiques. »

L’élu pointe aussi une contradiction franco-française : « L’objectif affiché par la loi sur la transition énergétique est de réduire la part du nucléaire dans le mix de 75 % à 50 % à l’horizon 2025. Comment la position française relative à une augmentation des renouvelables décalée dans le temps permettra-t-elle de substituer ces énergies au nucléaire dans les délais prévus par la loi ? Il est hautement improbable qu’une trajectoire non-linéaire et non-obligatoire entre 2020 et 2030 permette de hisser les renouvelables à un niveau suffisant pour compenser la fermeture progressive d’une partie du parc nucléaire actuel. »

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Sur le territoire national, la loi de transition énergétique fixe l’objectif de porter à 32 % la part des énergies renouvelables dans la consommation énergétique finale en 2030. Mais en réalité, elle est très en retard sur ses engagements. En 2020, 23 % de sa consommation d’énergie finale doit être assuré par des sources renouvelables (hydraulique, solaire, éolien, géothermie…). Mais fin 2015, cette part n’atteignait que 14,9 %. L’eurodéputé Yannick Jadot a protesté sur son blog : « Le gouvernement poursuit une stratégie de démolition des ambitions européennes en matière d’énergies renouvelables, au nom de la défense acharnée d’une industrie nucléaire aujourd’hui en faillite. »

Selon nos informations, le cabinet de Nicolas Hulot n’a pas été informé de la teneur de la position française. Sollicité par Mediapart jeudi 5 octobre, il n’a pas répondu à nos demandes. Lors d’un colloque sur l’énergie à l’Assemblée nationale, Barbara Pompili, présidente de la commission développement durable à l’Assemblée nationale, se contente de déclarer : « La transition énergétique est la grande priorité du gouvernement que je soutiens. Nous avons besoin de l’Union européenne pour coordonner nos efforts. »

Lors de ce même colloque, Virginie Schwarz, directrice de l’énergie au sein du ministère, a expliqué que « l’objectif 2030 avait fait l’objet d’un accord qui n’avait pas été si facile que cela à obtenir. Cet accord a été trouvé. Aujourd’hui, pour nous, la priorité c’est de le respecter, pour que ce chiffre de 27 % soit atteint en Europe. Il faut une vraie volonté politique ».

À la lecture de la note française, la question de la volonté politique du gouvernement d’Édouard Philippe sur ce sujet est officiellement posée.

Rédigé par christophe Gueugneau et Jade Lindgaard

https://www.mediapart.fr/journal/france/051017/climat-bruxelles-la-france-lache-les-renouvelables