Les centrales nucléaires françaises sont très vulnérables aux attaques terroristes. C’est la conclusion du documentariste Éric Guéret, auteur, avec Laure Noualhat, de « Sécurité nucléaire : le grand mensonge », diffusé mardi 5 décembre sur Arte. Reporterre l’a rencontré.
Ce n’est pas la première fois qu’Éric Guéret plonge dans la soupe nucléaire. Le documentariste avait déjà fait ses armes en 2005 avec Opération plutonium et remis le couvert en 2009 pour Déchets, le cauchemar du nucléaire. Si, à l’époque, le réalisateur avait déjà en tête le problème de la sécurité nucléaire, le contexte terroriste international l’a convaincu de s’emparer du sujet une troisième fois pour lever le voile, avec Laure Noualhat, sur les fragilités des systèmes de défense du nucléaire civil français. Deux années d’enquête ont été nécessaires pour réaliser Sécurité nucléaire : le grand mensonge (diffusé ce mardi 5 décembre sur Arte) afin de savoir si, caché derrière le secret-défense, les États et l’industrie nucléaire peuvent garantir la sécurité des citoyens. Pour répondre, le film conduit ses spectateurs au cœur des opérations d’occupation et de surveillance de Greenpeace France et à la rencontre des experts internationaux de la sécurité de l’atome. Il démontre qu’un petit groupe organisé peut mettre en péril la sécurité de milliers de personnes. Et soulève le criant problème des piscines de stockage des combustibles usés.
Le film est diffusé ce soir mardi 5 décembre sur Arte à 20h50 https://www.arte.tv/fr/videos/067856-000-A/securite-nucleaire-le-grand-mensonge/
Reporterre — Selon vous, que représente le nucléaire en France ?
Éric Guéret — Il y a un rapport très affectif, irrationnel entre la France et le nucléaire. Le nucléaire a été développé au moment de la décolonisation et la puissance nucléaire s’est substituée à la puissance coloniale. C’est d’ailleurs de Gaulle qui a fait la transition, à la fois en décolonisant les territoires occupés par la France et en développant le nucléaire aussi bien militaire que civil. Quand vous vous attaquez au nucléaire en France, vous entendez toujours de la part des gens qui le défendent : « Mais c’est la grandeur de la France, c’est un savoir-faire unique, etc. » Vous touchez à l’identité, au sentiment de puissance et de rayonnement de la nation.
C’est ce qui empêche d’avoir un débat rationnel sur le nucléaire en France ?
Ce qui empêche la tenue d’un débat rationnel, c’est l’ancrage auprès des élites de cette vision de grandeur de la France à travers le nucléaire. L’idée a été défendue principalement par les ingénieurs du Corps des mines, mais elle a complètement imprégné le tissu politique. On trouve peu de politiciens qui ont le courage de remettre cela en cause. Mais il faut sortir de ce mythe nucléaire. Car les conséquences en sont que nous perdons du temps et ratons les rendez-vous sur les énergies d’avenir et renouvelables. Quand vous mettez 80 % des crédits de développement dans le nucléaire, vous ne mettez pas l’argent ailleurs.
Vous démontrez dans votre documentaire les faiblesses de sécurité du parc nucléaire français. Vous montrez comment attaquer une centrale en son point le plus fragile avec un drone… Présenter ces informations, n’est-ce pas donner des armes aux terroristes ?
C’est une question qu’on s’est posée, mais on ne le pense pas. Il y a une phrase très importante à la fin du film sur les leçons à tirer du 11 Septembre : « Ne sous-estimez pas vos adversaires. Il faut entretenir le doute sur vos propres capacités. » Aujourd’hui, les réseaux terroristes ont beaucoup plus de moyens que nous pour enquêter, pour recruter des experts… Toutes les informations que nous avons trouvées sont accessibles dans le domaine public, dans les rapports de l’IRSN [l’Institut de radiodétection et de sûreté nucléaire], dans les rapports de sûreté états-uniens et belges, dans les rapports de l’industrie… C’est la fragilité que nous voulons montrer : des personnes organisées trouveront les mêmes informations que nous. La simple observation permet de comprendre les mécaniques des transports en camion de plutonium, qui sont réglés à la minute près sur les mêmes trajets. Malheureusement, les terroristes n’ont pas besoin de nous pour avoir des idées : il y a eu 83 attaques ou malveillances sur le nucléaire depuis 60 ans.
Là où notre travail est nécessaire, c’est qu’à partir du moment où les autorités pensent que le secret suffit à protéger, elles mettent peu de moyens supplémentaires en œuvre. Nous démontrons que le secret ne peut pas être le pilier principal de la stratégie de défense. C’est un travail de lanceur d’alerte : si on ne le dit pas, les choses ne progressent pas, car cela coûte cher et que c’est compliqué à appliquer.
Quelles réactions souhaitez-vous provoquer avec ce film ?
J’aimerais que ce film fasse prendre conscience à chacun du risque réel que cette industrie lui fait courir. Il faut sortir de cette idéologie du nucléaire propre, d’avenir, sécurisé… Nous vivons dans une idéologie portée par des militants pronucléaires. Ensuite, j’aimerais que la politique s’empare de la question. Que le Parlement, qui a le pouvoir de déclencher des enquêtes parlementaires, le fasse. Il y a des parlementaires habilités secret-défense qui peuvent demander des comptes à l’État sur la manière dont il défend les citoyens contre ce risque. Ça pourrait être fait sur le plan français, mais ça pourrait également être fait sur le plan international : pourquoi un groupe de parlementaires européens ne pourrait-il pas demander des comptes, puisque les frontières n’existent pas en matière de risque, aux différents pays sur leurs stratégies de défense et les moyens de défense mis en œuvre pour nous sécuriser ?
Enfin, à partir du moment où on ne nous pose pas la question du développement nucléaire, car c’est un choix qui ne nous a jamais été donné, il est bon de rappeler que le marché de l’électricité est ouvert. Que chacun peut décider d’acheter de l’électricité nucléaire chez EDF, ou de l’énergie renouvelable chez Enercoop. À partir du moment où la démocratie ne s’applique pas en matière de choix nucléaire, elle s’applique à chacun dans le choix de l’énergie qui va l’alimenter.
Quelles sont les solutions envisageables pour réduire les risques auxquels est exposé le parc nucléaire français ?
Ce qui est terrible dans ce que nous avons découvert, c’est que je ne suis pas sûr que ce soit réellement sécurisable. Il y a une forme d’impasse dans cette industrie, et elle apparaît incompatible avec l’état du terrorisme actuel, avec la progression des technologies, comme les drones et certains types d’armes, avec la folie des hommes qui sont prêts à se suicider pour faire le maximum de victimes. Cela pose une question structurelle : ce mode d’énergie est-il compatible avec le monde d’aujourd’hui ?
L’industrie nucléaire n’a pas été conçue pour résister à des attentats. C’est vrai des dômes des centrales nucléaires, qui n’ont pas été construits pour résister à des chutes d’avions. C’est vrai des barrières, des accès, des angles de tir qu’on pourrait avoir sur les piscines nucléaires. Il faudrait les protéger mieux, or ça demande des investissements considérables. Il est absolument effrayant qu’à moins de deux semaines d’intervalles, Greenpeace arrive à s’introduire dans deux centrales différentes et à s’approcher des piscines à combustible. Il faudrait surtout vider au maximum les matières nucléaires des sites, sortir les combustibles pour les sécuriser dans les systèmes les plus sûrs, au sec.
Ensuite, il y a une vraie réflexion à avoir sur la gouvernance mondiale. Aujourd’hui, on se rend compte qu’il n’y a aucune instance internationale qui puisse imposer à un pays tel type de gestion. Malheureusement, en cas de problème, tout le monde est victime. Nous avons démontré que l’Agence internationale de l’énergie atomique n’a pas les moyens de tenir ce rôle : elle n’a aucun pouvoir contraignant et aucun budget pour le faire, et, de plus, elle fait la promotion de l’énergie nucléaire. Il faudrait une agence internationale, indépendante, qui ait un pouvoir d’expertise, et un pouvoir de contrainte sur cette industrie.
Propos recueillis par Moran Kerinec
LE FILM PEUT ÊTRE VU ICI jusqu’en février 2018
https://reporterre.net/Eric-Gueret-Le-nucleaire-n-a-pas-ete-concu-pour-resister-a-des-attentats
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