CORÉE DU NORD: UNE CRISE SYMPTOMATIQUE D’UNE RIVALITÉ RÉGIONALE ENTRE WASHINGTON ET PÉKIN

Les experts et diplomates peuvent s’égosiller à proposer leurs solutions, aucune ne résoudra le casse-tête nord-coréen si les États-Unis et la Chine ne règlent pas leurs différends au préalable, estime l’universitaire Lionel Fatton.

Ne vous y trompez pas. La Corée du Nord, état ermite possédant un budget de la défense presque cent fois inférieur à celui des États-Unis, n’est devenue nuisible à la stabilité de l’Asie de l’Est que parce que la rivalité régionale entre Washington et Pékin le lui a permis. Les experts et diplomates pourront donc s’égosiller à proposer leurs solutions, aucune ne résoudra le casse-tête nord-coréen si les États-Unis et la Chine ne règlent pas leurs différends au préalable.

Le 29 novembre 2017, après le tir d’un missile balistique intercontinental capable d’atteindre la totalité du territoire américain, les médias nord-coréens ont célébré «l’achèvement d’une force nucléaire d’État». La dissuasion nucléaire semble en effet à portée de main de la Corée du Nord. Quelles options reste-t-il pour la communauté internationale?

La militaire d’abord, comme Donald Trump se plaît à l’insinuer en professant que «toutes les options sont sur la table». Elle est peu probable cependant. Outre le coût exorbitant qu’aurait une guerre dans la péninsule coréenne aujourd’hui, il convient de se demander pourquoi le Pentagone n’a jamais sérieusement envisagé des opérations de désarmement ou de décapitation du régime de Pyongyang. La réponse réside essentiellement dans l’incertitude américaine quant à l’attitude de Pékin en cas d’opération militaire.

Ambiguïtés chinoises

La Chine est liée à la Corée du Nord par une alliance datant de 1961 qui prévoit une entraide militaire si un des deux pays est attaqué. Bien entendu, il n’est pas certain que Pékin respecte ses engagements. La Chine à tout intérêt à éviter une confrontation militaire avec les États-Unis dans la péninsule coréenne, où des centaines de milliers de chinois sont tombés sous les balles américaines durant la guerre de Corée. Il n’en reste pas moins que la position de Pékin est ambiguë et brouille les calculs américains. Sans la garantie d’une neutralité chinoise, l’option militaire est peu réaliste pour Washington.

La deuxième option pour traiter le problème nord-coréen est d’allier l’approche diplomatique aux sanctions économiques afin d’amener Pyongyang à négocier. Des progrès certains ont été réalisés ces derniers mois à cet égard. La résolution 2375 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée en réponse à l’essai nucléaire nord-coréen du 2 septembre 2017, prévoit notamment une réduction de moitié de l’approvisionnement de la Corée du Nord en produits pétroliers raffinés et un gel du volume de livraison du pétrole brut. Ces nouvelles sanctions n’ont cependant pas eu l’effet escompté, comme le prouve le récent tir de missile balistique.

La Chine redoute l’affaiblissement ou la disparition d’un état tampon avec les États-Unis

Une version préliminaire de la résolution proposée par les États-Unis prévoyait un embargo total sur le pétrole à destination de la Corée du Nord. Un tel embargo aurait pu faire plier le régime de Pyongyang, mais comportait aussi le risque d’une action nord-coréenne désespérée et violente afin de briser le joug des sanctions et d’éviter une lente asphyxie. Les sanctions allégées de la résolution 2375 sont le résultat de l’opposition de la Chine. Si cette dernière était encline à augmenter la pression sur Pyongyang, elle n’était pas prête à mettre en péril la stabilité de la péninsule coréenne.

Nécessité d’une entente cordiale

L’impossibilité pour les États-Unis d’obtenir de la Chine une promesse de neutralité en cas de conflit et/ou son soutien pour des sanctions efficaces provient du fait que pour Pékin, une déstabilisation de la Corée du Nord serait plus néfaste pour ses intérêts qu’une nucléarisation accomplie de l’état ermite. La Chine redoute plus que tout l’affaiblissement ou la disparition d’un état tampon avec les États-Unis et leur allié sud-coréen, essentiel à sa sécurité nationale.

Cette crainte reflète la profonde méfiance chinoise envers les États-Unis. Pékin perçoit la politique américaine en Extrême-Orient comme une stratégie d’endiguement. Les États-Unis, eux, prêtent à la Chine des velléités hégémoniques. La crise nord-coréenne, tout comme les tensions en mer de Chine méridionale, est un symptôme de cette méfiance et rivalité mutuelle. Tant que les États-Unis n’auront pas convaincu la Chine qu’ils ne cherchent pas à la maintenir en position d’infériorité et de vulnérabilité, cette dernière sera réticente à coopérer pour une stabilisation de sa périphérie. Il est urgent pour les deux pays de conclure une entente cordiale, ou la ligne de contact entre leurs sphères d’influence respectives pourrait bien s’embraser.

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