CORÉE DU NORD : DU BON USAGE DES ARMES DE SÉDUCTION MASSIVE

Extraits :… Lors d’une des quatre brèves rencontres avec Moon Jae-in, la messagère toute en sourire et tenue de gala la plus proche de Kim Jong-un – sa sœur Kim Yo-jong – délivra en main propre à son hôte comblé une missive signée de la main de son frère. Dans la lettre, ce dernier suggère que le mieux-être actuel entre Séoul et Pyongyang soit consolidé – au plus vite – par une rencontre entre les deux plus hauts dirigeants, dans le cadre d’un sommet intercoréen organisé dans la capitale nord-coréenne.

Adressée à l’opiniâtre président Moon, cette invitation à se rendre à court terme dans l’austère et insolite Pyongyang et à y rencontrer le « Jeune Maréchal »* constituerait – si elle venait à se réaliser – un dividende post-olympique presque inespéré pour l’heureux visiteur potentiel, tant cette hypothèse paraissait hardie à concevoir. Il est vrai que dernièrement, lorsque Kim Jong-un évoquait quelques paraboles gestuelles dans son registre menaçant habituel, à la politique de la main tendue il préférait mentionner l’image d’un doigt prêt à tout moment à appuyer sur un « bouton nucléaire ». L’accueil à Pyongyang plutôt que le chaos (atomique) sur Séoul ou Washington, voilà qui humanise (un peu) en une seule missive et quelques mots encourageants choisis un individu jusqu’alors associé à des desseins plus sombres, moins hospitaliers.

De Séoul à Washington en passant par Tokyo, ce (rare) signal favorable émis depuis Pyongyang ne trouve pas pour autant que des partisans exaltés. La magie olympique de Pyeongchang et la présence de quelques graciles prêtresses de Pyongyang dans les enceintes sportives n’agît pas avec le même profit sur l’ensemble des acteurs. Il n’est pour s’en convaincre qu’à observer les mines fermées et sévères offertes sur le même cliché par le vice-président américain Mike Pence et le chef de gouvernement nippon Shinzo Abe, assis lors de la cérémonie d’ouverture des JO à quelques pas d’un Moon Jae-in souriant… et à quelques mètres à peine de la plus insolite des spectatrices et invitées du jour, la jeune Kim Yo-jong, une Iris visiblement plus enjouée par l’événement et détendue que ses voisins nord-américains et japonais.

Au sein de l’intelligentsia et de l’opinion publique sud-coréenne, le scepticisme sur les véritables intentions du régime nord-coréen prévaut, en phase avec la Maison Blanche et son vitupérant locataire du moment. Donald Trump avait confié à son émissaire Mike Pence le soin de convaincre Moon Jae-in de la nécessité d’une approche unifiée entre Séoul et Washington du dossier nucléaire nord-coréen, de souligner l’importance d’un partenariat stratégique américano-sud-coréen sur les grandes thématiques politiques et sécuritaires du moment, de rappeler au locataire de la Maison Bleue que par le passé, aucun des engagements pris par le Nord n’a été tenu et, last but not least, de signifier aux autorités sud-coréennes que Pyongyang s’emploie ces dernières semaines à éprouver l’axe Séoul–Washington dans le dessein d’éloigner la première de la seconde. Une orientation délicate dont les spécialistes aiment à penser qu’elle profiterait essentiellement à l’agenda de la RPDC.

Cependant, dans cet insolite maelström diplomatico-olympique où soufflent parallèlement le froid (sur les sites olympiques) et le chaud (dans les chancelleries politiques), même les plus rétifs et dubitatifs finissent semble-t-il par accorder quelque chance à ce rare chapitre inter coréen de répit. Ainsi le 13 février, l’administration américaine confiait être à étudier le principe d’une reprise des discussions avec les autorités nord-coréennes, et cela sans précondition rédhibitoire. Une posture nouvelle et symbolique à saluer.

À ce stade exploratoire, nous sommes naturellement encore bien loin d’une hypothétique rencontre entre Donald Trump et Kim Jong-un. Ce binôme présidentiel le plus improbable qui soit est davantage rompu à l’échange viril de noms d’oiseaux qu’à l’étude dépassionnée de projets politiques mutuellement acceptables. Il fut certes un temps pas si lointain où, alors simple aspirant au poste de président américain, le candidat républicain se vantait devant les médias de ne pas repousser l’idée d’une éventuelle future rencontre avec le dictateur nord-coréen, le temps de « partager un hamburger » sur un coin de table. Ce festin devra certainement attendre encore quelque temps.

Rêvée comme les « Jeux de la paix » par l’ambitieux président Moon Jae-in, l’olympiade d’hiver actuellement en cours à l’est de Séoul n’est de toute évidence pas le levier politique espéré du seul « pays du matin calme ». Par-delà la zone démilitarisée, l’événement sportif le plus médiatique de l’année fait l’objet d’une très habile et opportune récupération, laquelle confinerait selon ses détracteurs à une réappropriation pure et simple de la part de Pyongyang. Il s’agira de se montrer d’autant plus prudent. La compréhensible exaltation actuelle dans les cercles du pouvoir sud-coréen – par ailleurs loin d’être unanimes sur le sujet – pourrait à court terme être soumise à rude épreuve (non-sportive). Dans l’hypothèse notamment où Séoul et Washington confirmeraient in fine à l’issue de cette trêve olympique, nonobstant l’atmosphère inter-coréenne favorable du moment, la programmation le printemps venu de leurs exercices militaires annuels conjoints. Un événement abhorré et vilipendé s’il en est au nord du 38ème parallèle. Tout esprit olympique, tout souvenir d’une « North Korean glamour touch » auraient tôt fait de laisser la place à une atmosphère de tension et de grande fébrilité – hélas des plus familières dans la péninsule.

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