LES QUESTIONS QUE POSE L’ENFOUISSEMENT DES DÉCHETS NUCLÉAIRES À BURE

Le stockage profond des déchets les plus radioactifs a été acté en France par une loi de 2006. Mais le sujet est en débat depuis plus de trente ans.

En quoi consiste le projet d’enfouissement de Bure ?

Le projet de Centre industriel de stockage réversible profond de déchets radioactifs (Cigéo) vise à enfouir à 500 mètres sous terre les déchets nucléaires « ultimes ». Ils proviennent en grande majorité des réacteurs d’EDF, mais aussi des secteurs de la santé, de la recherche ou de l’armée.

Ils se répartissent en deux catégories. Les déchets de haute activité (HA) et les déchets de moyenne activité à vie longue (MA-VL). La moyenne de la radioactivité avoisine les 100 000 ans, mais peut atteindre un million d’années pour certains éléments.

L’idée de construire en France un centre d’enfouissement n’est pas nouvelle. La première loi ouvrant la voie à des réflexions date de 1991. L’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) est alors chargée de piloter le projet, qui est définitivement entériné par une loi de 2006. Plusieurs zones sont envisagées dans le Gard, la Vienne, la Haute-Marne et la Meuse, qui sera finalement retenue pour ses caractéristiques géologiques.

En 2000, un laboratoire souterrain est construit à Bure, juste à côté du futur centre d’enfouissement, à 500 mètres de profondeur, au milieu d’une couche d’argile de 150 mètres d’épaisseur. L’objectif est de réaliser des tests grandeur nature sur la résistance de la roche.

À ce jour, environ 1 850 mètres de galeries ont déjà été percés ainsi que, à l’intérieur de celles-ci, des alvéoles de cinquante mètres de long. C’est là que devraient être entreposés les fûts de déchets, manipulés par des robots au fur et à mesure de leur arrivée.

Si le calendrier est tenu, une demande d’autorisation sera faite à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) en 2019. Après au moins trois ans d’instruction, elle pourrait donner son feu vert à la première phase de construction, qui doit durer une dizaine d’années. Le site ne devrait donc pas voir le jour avant 2030.

Sa capacité sera équivalente à la production du parc actuel de réacteurs durant cinquante ans, auquel il faut ajouter l’EPR de Flamanville et le réacteur expérimental Iter. Soit au total 85 000 m3 de déchets dont plus de la moitié ont d’ailleurs déjà été produits. Ils sont pour l’instant entreposés à La Hague (Manche), Marcoule (Gard) et Cadarache (Bouches-du-Rhône).

Combien cela va-t-il coûter ?

À vrai dire, personne n’en sait rien et les estimations sur la facture finale sont extrêmement divergentes. Les premières évaluations du coût d’un stockage profond réalisées par l’Andra en 2003 variaient ainsi de 15,9 milliards d’euros à… 55 milliards d’euros.

À la décharge de l’Agence, il est extrêmement difficile, voire impossible d’établir un chiffrage sur plus d’un siècle, tant il faut intégrer de paramètres dont beaucoup sont encore inconnus. Personne ne sait, par exemple quel volume exact sera enfoui, puisque cela dépend du prolongement ou non du parc nucléaire français.

En 2015, à la demande du gouvernement, l’Andra a toutefois estimé le coût de Cigéo à 32,8 milliards d’euros. Elle évaluait ainsi la construction du centre d’enfouissement à 19,8 milliards, auquel il fallait ajouter 8,8 milliards de dépenses d’exploitation jusqu’en 2144, sans oublier… 4,1 milliards d’impôts et de taxes. Un luxe de détails qui souligne la fragilité des projections.

Les opposants au projet soutiennent qu’il devrait coûter bien plus cher. À l’inverse, EDF, Areva et le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), qui sont les trois principaux producteurs de déchets et donc à ce titre les financeurs de Cigéo, jugent au contraire que la facture de l’Andra est trop importante. Un raisonnement logique car plus la note est élevée, plus ils doivent passer des provisions supplémentaires dans leurs comptes, ce qui réduit d’autant leurs bénéfices. Selon eux, il serait ainsi possible de réaliser un centre de stockage pour environ 20 milliards d’euros.

L’ancienne ministre de l’environnement, Ségolène Royal, a finalement tranché le débat à sa manière, en coupant la poire en deux. Un arrêté publié au Journal officiel en janvier 2016 fixe un « coût objectif » à 25 milliards d’euros. De toute façon, les auteurs des études ne seront plus là pour vérifier s’ils avaient raison ou non.

Ce stockage profond est-il dangereux ?

L’eau et le feu sont les principales menaces qui pèsent sur le projet d’enfouissement. Les « anti » Cigéo expliquent qu’il est impossible de garantir sur des milliers d’années que la radioactivité ne va pas s’échapper des galeries et contaminer la nappe phréatique qui alimente le Bassin parisien et qui se trouve juste au-dessus. Greenpeace explique ainsi que le Centre de stockage de la Manche (CSM), où se trouvent les déchets de faible et moyenne activité à vie courte, « fuit déjà et a gravement contaminé la nappe phréatique de La Hague ».

L’Andra rétorque que le site de Bure a été retenu pour l’imperméabilité de sa couche sédimentaire argileuse qui est stable depuis 160 millions d’années. De son côté, le réseau Sortir du nucléaire met en exergue les possibilités d’explosion liées au dégagement d’hydrogène des matières radioactives.

Autre souci, les risques d’incendie, à l’instar de ce qui s’est déjà passé aux États-Unis sur un site pilote de déchets nucléaires militaires (Wipp), avec à la clé un dégagement de radioactivité. En janvier, l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a aussi émis « une réserve » sur les déchets bitumés, des boues radioactives conditionnées dans des matrices en bitume qui représentent 18 % des déchets prévus à Bure. Ses experts évoquent les dangers de montée en température des colis par « emballement de réactions exothermiques », et donc de feu. Voir L’ASN émet une réserve sur le projet Cigéo

« Les solutions actuelles ne sont pas tout à fait satisfaisantes, mais nous travaillons sur d’autres », affirme Frédéric Launeau, le directeur du projet Cigéo à l’Andra. L’une d’elles serait de reconditionner les 40 000 colis existants pour les rendre inertes, selon des procédés techniques qui restent encore à développer au plan industriel. Mais si aucune solution n’est trouvée, ces déchets ne pourront pas être stockés à Bure, a prévenu l’ASN.

Le transport jusqu’au site de Bure peut également être une source d’inquiétude. Les fûts arriveront par train, à raison de 5 par jour en rythme de croisière (en 2050-2060), en provenance notamment de La Hague, à 600 kilomètres de là.

Que se passera-t-il pour les générations futures ?

La loi a prévu la réversibilité du site durant un siècle après son ouverture. En clair, jusqu’aux environs de 2135, les générations futures pourront donc retirer les déchets si, par exemple, une nouvelle solution technique est trouvée. (NDLR : toutes les opérations seront automatisées à cause de la radioactivité. Il n’existe au monde aucune installation de cette nature et de cette envergure qui ait fonctionné 100 ans sans panne. La réversibilité garantie est un mythe)

Mais après, tout sera rebouché et le site de Bure définitivement condamné. Sauf qu’il faut pouvoir garder la mémoire du site « à minima durant cinq cent ans, conformément à l’exigence de l’ASN », souligne l’Andra, qui s’est notamment inspirée de ce qui a été fait sur son site de la Manche.

« Nous stockons les archives sur des supports numériques et sur du papier permanent traité spécialement pour durer plusieurs centaines d’années », explique Mathieu Saint-Louis, chargé de la communication de Cigéo. Alors que les gravures sur CD et autres DVD tiennent finalement assez peu de temps, l’Andra a fait réaliser le prototype d’un disque de saphir synthétique d’une durée dépassant le million d’années. Mais beaucoup d’interrogations demeurent sur les personnes ou les structures qui détiendront ces savoirs et les transmettront. Et les réponses apportées sont toutes sans garantie.

Y a-t-il des alternatives ?

Pour l’instant, non. La plupart des pays qui ont développé du nucléaire (civil et militaire), et sont donc confrontés à la gestion des déchets à vie longue, envisagent un stockage en couche géologique profonde. « Cette solution n’est pas entièrement satisfaisante mais disons que c’est la moins mauvaise », affirmait Nicolas Hulot, le ministre de la transition écologique en septembre, au grand dam des associations antinucléaires qui ont aussitôt crié à la trahison. « Que cela plaise ou non, les déchets sont là, donc il va bien falloir qu’on s’en occupe », avait-il ajouté, estimant : « Il n’y a malheureusement pas de solutions miracles à un problème aussi complexe. »

En France, deux autres options avaient été étudiées après l’adoption de la loi de 1991 : l’entreposage en surface ou à faible profondeur et la transmutation, c’est-à-dire la possibilité de réduire la durée de vie des éléments les plus radioactifs. Elles ont vite été abandonnées. (NDLR : l’auteur de l’article ne dit pas pourquoi ! Or, un stockage à faible profondeur garantirait la réversibilité en attendant que la recherche propose une meilleure solution).

« Le stockage profond est le seul moyen de protéger l’homme de l’homme, contrairement à l’entreposage en surface qui présente beaucoup d’aléas, liés au climat, à l’érosion et aux intrusions. Quant à la transmutation, c’est la pierre philosophale », affirme le directeur de Cigéo.

Cette absence d’alternatives crédibles affaiblit l’argumentaire des opposants. « Les conditions ne sont pas réunies pour participer à un débat serein, car Cigéo est un moyen de relancer le nucléaire. Arrêtons d’abord toutes les centrales. On verra ensuite comment s’occuper des déchets. Mais il n’y a pas d’urgence, car beaucoup sont encore en train de refroidir », explique Charlotte Mijeon, une des porte-parole du Réseau sortir du nucléaire.

De son côté, Greenpeace plaide pour « un stockage des déchets sur site de production de la manière la plus sécurisée possible ». Rappelons que de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1980, beaucoup de pays, dont la France, avaient usé d’une solution aussi radicale que discrète : jeter des centaines de fûts radioactifs à la mer.

Les projets de pays étrangers

Avec la France, seuls deux autres pays, la Suède et la Finlande, sont engagés dans la réalisation d’un projet de stockage géologique profond. Il s’agit là-bas d’un enfouissement dans des massifs granitiques. La Finlande est la plus avancée : l’autorité de sûreté a donné son feu vert en février 2015. Le site retenu est la presqu’île d’Olkiluoto, dans le sud-ouest du pays, où Areva achève la construction de son EPR.

Des projets ont été suspendus comme celui de Yucca Mountain dans le désert du Nevada aux États-Unis. Censé ouvrir en 2017, le chantier avait été arrêté en 2009 par le président de l’époque, Barack Obama. Son successeur à la Maison-Blanche Donald Trump a évoqué une reprise des travaux.

Les oppositions locales ont fait capoter beaucoup de projets. En 2013, le Royaume-Uni avait trouvé deux terrains, mais les élus locaux ont mis leur veto. En Allemagne, la sélection d’un site a été repoussée à 2031. Au Japon, le projet d’un laboratoire profond est suspendu à cause des habitants.

Jean-Claude Bourbon

https://www.la-croix.com/France/questions-pose-lenfouissement-dechets-nucleaires-Bure-2018-03-04-1200918096